19 février 2013 - Journée d'étude ASFC «Sharm El-Sheikh - Ombres & Lumières»

Nutrition et Physiologie digestive
Les apports lors du 10ème Congrès Mondial de Cuniculture


par


Thierry GIDENNE *   et Jean-Marc SALAÜN **

* INRA Toulouse, UMR 1289 Tandem, CS 52627, 31326 Castanet-Tolosan
** Sanders, Centre d'affaire Odyssée - Cicé Blossac - CS17228, 35172 Bruz.

 


J.M. Salaün lors de la présentation du rapport

Comme les années passées, la section "Alimentation, nutrition et physiologie de la digestion" a été celle contenant le plus de communications courtes. Elle représente à elle seule 22% des travaux présentés lors de ce 10ème Congrès, soit 42 communications (sur un total de 194) et 2 synthèses (sur un total de 8 synthèses).

Dans cet article, nous traiterons des résultats nouveaux en nutrition (nutriments et recommandations), en physiologie de la digestion, et des effets de divers additifs alimentaires sur la physiologie, ce qui correspond à l'analyse de 19 communications courtes et des 2 synthèses. Les résultats sur les techniques d'alimentation (y compris le rationnement) et la valeur nutritive des matières premières sont traités dans l'article de MM Lebas et Duperray.

 
Pour cette sous-section "physiologie et nutrition", l'activité de recherche est répartie entre de nombreux pays (Espagne, France, Hongrie, Tchéquie, Chine, Egypte, etc.), sans domination particulière d'une équipe. Deux points méritent d'être soulignés, quant aux critères ou paramètres mesurés pour tenter de caractériser ou de comprendre l'ampleur ou la nature des phénomènes digestifs. D'une part, il faut remarquer l'emploi plus fréquent de techniques moléculaire pour caractériser divers paramètres, allant de l'immunité à l'analyse du microbiote caecal. Pour ce dernier point, nous soulignerons l'intérêt de la synthèse de Mme Combes " Controlling the rabbit digestive ecosystem to improve digestive health and efficacy". D'autre part, en termes d'analyse des fibres, il faut souligner un effort pour mieux caractériser les fibres dites "solubles" (Xiccato et al.) dans les aliments et les matières premières; ainsi le rôle de ces constituants a fait l'objet d'une synthèse par Angela Trocino et al..
I - MICROBIOLOGIE DIGESTIVE ET ACTIVITÉ MICROBIENNE : méthodes et facteurs de variation


Trois études ont utilisé des outils de microbiologie moléculaire afin d'analyser le microbiote caecal (Vantus et al.; Kimsé et al.; El Abed et al.). Après extraction et amplification (PCR) de l'ADN des bactéries il est possible de comparer les différentes séquences d'ADN, et de mesurer "l'empreinte" ou fingerprint du microbiote. A partir du profil bactérien, il est ensuite possible d'estimer un index de la biodiversité (combinaison de la richesse et de l'abondance), et aussi d'analyser la structure de la communauté microbienne (c'est à dire déterminer si les espèces présentes sont les mêmes dans 2 échantillons).

Rappelons que l'un des avantages de la microbiologie moléculaire est de prendre en compte la quasi-totalité des microorganismes présents, et pas seulement les 20 à 30% cultivables. La comparaison des séquences d'ADN obtenues avec celles de banques de données permet également d'identifier la famille voire le genre des bactéries. Ainsi, dans la synthèse de Combes et al., on constate que les progrès dans les techniques de séquençage permettent de préciser l'affiliation taxonomique des bactéries, dans un phylum (pour au moins 95% des séquences), dans une famille (pour au moins 50% des séquences) ou dans un genre (10 à 30 % des séquences)


Figure 2. Variabilité de la composition des communautés bactériennes dans le caecum lapin de différents âges. Chaque point représente le microbiote d'un lapin. Plus les points sont proches, plus le microbiote est semblable entre individus

Le phylum des Firmicutes est très majoritaire (abondance relative = 90%) dans le microbiote caecal du lapin en fin de croissance (figure 1, Combes et al.) , suivi par le phylum Bacteroidetes (abondance < 5%).

Cependant, entre deux semaines et l'âge adulte, le microbiote caecal évolue très sensiblement, avec une assez grande diversité de profils bactériens entre les individus jeunes, puis une homogénéisation des profils avec l'âge (figure 2, Combes et al.). Ainsi, Vantus et al., montrent par qPCR, que l'abondance relative de Bacteroidetes et de 2 types de Clostridium (leptum et cocoides, appartenant au phylum des Firmicutes) n'évolueraient plus entre 49 et 80 jours d'âge. Il serait donc possible d'intervenir pour modifier l'implantation du microbiote caecal du lapin, dans une fenêtre de temps entre une et quatre semaines d'âge, là où la variabilité de microbiote entre individus est encore élevée. Au delà, on peut penser que le microbiote qui est implanté est de plus en plus semblable entre individus, et donc plus stable et difficile à modifier.

Ainsi, Combes et al. ont décrit plusieurs voies d'action pour orienter le microbiote vers un service plus favorable à l'hôte, comme : agir très précocement sur le lapereau encore au nid (moduler l'environnement immédiat dans le nid, etc...), ou agir sur la nutrition avant sevrage ou juste après sevrage (les fibres devraient jouer un rôle important, sans exclure les autres nutriments, ou l'usage de probiotiques).

  Kimsé et al. observent aussi qu'une déficience en fibre (9 vs 19% ADF) sans modification de la qualité des fibres, ne provoque pas de modification majeure du microbiote caecal ou du potentiel redox, alors que cela modifie le milieu caecal : acidité plus faible, moins d'AGV et doublement de l'NH3. De leur côté, Krieg et al. montrent qu'une hausse linéaire (0,23 à 0,40) du ratio lignines (ADL) sur cellulose (Van-Soest) réduit linéairement la concentration en AGV dans le caecum (à 40j d'âge), sans modification majeure du profil fermentaire.
 

.Des prébiotiques, tels que des Mannanoligosaccharides (MOS) ou des ?-glucanes semblerait globalement modifier le microbiote caecal et iléal, étudié par une technique d'empreinte moléculaire (T-RFLP; El Abed et al.). Avec une méthode proche (SSCP), Kimsé et al. constatent que l'addition d'un probiotique (levures) accroît légèrement la biodiversité du microbiote caecal.

L'addition de MOS stimulerait l'activité microbienne caecale selon Iannaccone et al., tandis que l'addition d'un cocktail d'antibiotiques (colistine+tylosine+oyxytetracycline) l'inhiberait. Par rapport au témoin ou au groupe recevant des antibiotiques, l'addition de MOS conduirait également à une plus faible mortalité post-sevrage (21 et 20% vs 14% respectivement)

Par ailleurs, on peut signaler que l'addition de spiruline (micro-algue) ou de thym n'affecte pas l'activité microbienne caecale (ni le développement digestif) du lapin en croissance ni l'abondance des bactéries totales ou anaérobie stricte (Bonai et al.).

Enfin, une équipe Tchèque (Marounek et al.) a comparé l'activité fermentaire caecale chez le lièvre (sauvage) et le lapin domestique. Ils constatent une plus forte concentration en AGV activité chez le lièvre (mais plus d'NH3), probablement en lien avec son régime; mais aussi le profil fermentaire chez le lièvre présente un ratio C3/C4 supérieur à 1, contrairement au lapin. En culture in vitro, il semble que la production de méthane soit significative chez le lapin, mais presque nulle chez le lièvre.

Les résultats des 5 études précédentes, encore trop partiels, militent pour l'étude du microbiote par des techniques de séquençage à haut débit, afin d'obtenir une affiliation plus précise des bactéries présentes dans l'écosystème caecal du lapereau en fonction des facteurs de variations choisis (fibres, probiotiques, etc..).

 
II - PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE / IMMUNITÉ / MORPHOLOGIE DE L'INTESTIN (HISTOLOGIE) / ENZYMOLOGIE
  L'étude d'El Abed et al. (Espagne/Italie) indique que l'addition de prébiotiques, tels que des Mannanoligosaccharides (MOS) ou des béta-glucanes ne modifient pas la morphologie de la muqueuse jéjunale, mais ils augmenteraient l'activité spécifique de la sucrase. De même, ces produits modifient assez peu l'expression des gênes associés à la réponse inflammatoire que ce soit dans le tissu iléal ou l'appendice caecal, excepté certaines cytokines (IL6 ou INOS) dont l'expression serait réduite au niveau iléal.

Par une technique de cannulation du canal pancréatique chez le lapin adulte anesthésié, Dojana et al. ont mesuré d'une part le flux global de suc pancréatique et aussi l'activité de certaines enzymes, en fonction du régime. Ainsi, la sécrétion pancréatique globale n'est pas modifiée par l'alimentation; en revanche ils constatent assez logiquement, une plus forte activité de l'amylase avec un régime "amylacé", de même pour la trypsine avec le régime riche en protéines, alors que l'ajout de lipides n'a pas d'effet significatif sur la lipase ou les autres enzymes mesurées.

 

La morphologie du tube digestif pourrait être modifiée après un rationnement très intense (distribution de 50 ou 60 g d'aliment par jour alors que l'ingestion est de 174g/j chez les lapins nourris librement) et bref, pratiqué pendant 1 semaine après le sevrage (de 42 à 49j d'âge; Tumova et al.): l'intestin grêle et gros intestin seraient plus longs (+10%). Néanmoins, ces résultats sont peu fiables, car les auteurs de l'étude (Chodova et al.) indiquent qu'ils ont sacrifié des animaux de poids similaires pour tous les groupes expérimentaux, c'est à dire des animaux témoins à croissance lente comparés à des lapins rationnés à croissance rapide (voir l'analyse de ce biais expérimental dans le rapport de Lebas et Duperray). Donc, comme il y a confusion des effets entre l'effet du poids vifs et celui du rationnement, il est difficile d'en tirer une conclusion sur l'effet du rationnement proprement dit.

 

III - IMPACT DES NUTRIMENTS SUR LA DIGESTION, LA CROISSANCE ou LA SANTÉ DIGESTIVE
  Une hausse de la teneur en lignines (ADL, de 3,7 à 5,7%), sans modification du taux de cellulose (ADF - ADL;; 14 à 15%), via un apport d'un produit ligneux à base de bois, a entraîné une réduction de l'ingestion et de la croissance post-sevrage entre 29 et 40 jours (Krieg et al.). Cela entraîne aussi une réduction de la profondeur des cryptes du caecum et de leur largeur, mais cela reste sans effet significatif sur la santé entre le sevrage et 40 jours.
Tableau 1 : Incidence de l'apport de lignine sur les performances des lapieraux au cours des 11 jours suivant un sevrage à 29 jours et caractéristiques caecales
(Krieg et al.)
Rapport lignine / cellulose
0,26
0,30
0,32
0,34
0,40
Probablité
- Arbocel/Vitacel (% / %)
0 / 8
2 / 6
4 / 4
6 / 2
8 / 0
-
- ADL (g/kg MS)
37
44
48
52
57
-
- Cellulose ADF-ADL (g/kg MS)
139
148
147
150
144
-
- Consommation (g/j sur 11 jours)
110
102
101
102
91
< 0,001
- GMQ (g/j sur 11 jours)
46,7
46,0
44,5
44,0
41,2
= 0,042
- Mobidité et mortalité / lot
9 et 0 /40
8 et 1 /40
8 et 2 /40
8 et 1 /40
14 et 3/40
ns
- AGV caecum (mMol /L(
109
81
70
66
62
<0,001
- Cryptes caecum profondeur µm
221
236
192
150
142
<0,01
- Cryptes caecum largeur (µm)
36
53
40
39
14
<0,001
  La hausse de la concentration en lysine dans l'aliment (de 5,5 à 9,5 g/kg par addition de lysine de synthèse) permet une hausse régulière de la vitesse de croissance et une réduction de l'indice de consommation, jusqu'à un taux optimum de 8,6 g/kg (Jin et Li), en parallèle avec une hausse linéaire de l'expression des gênes pour l'IGF-I (insuline like growth factor) dans le foie et les muscles, et avec une légère hausse de la concentration sérique en hormone de croissance. Ainsi, l'IGF-I serait un facteur important dans la régulation de la croissance chez le lapin.
Figure 3 : Evolution de la concentration sérique d’IGF-I et de l’hormone de croissance GH (à gauche) et expression des gènes pour IGF-I dans le foie et les muscles (à droite) en fonction du taux de lysine dans l'aliment
(Jin et Li)

 

  Selon les résultats de Pinheiro et al., (tableau 2), le lapin adulte est capable de digérer des quantités très importantes d'amidon, puisque même avec un apport de 14% d'amidon de pomme de terre (crue) dans un aliment contenant 20% d'amidon total, la digestion iléale de l'amidon est presque complète (97%), alors qu'elle dépasse 98% pour un amidon de blé. Cela ne modifie pas le flux ou la digestion intestinale des autres nutriments (protéines, fibres, ..), ni l'activité fibrolytique des bactéries caecales.
Tableau 2 : Digestion fécale et iléale chez le lapin en fonction de l'orgine de l'amidon alimentaire (Pinheiro et al.)
IV- LES FIBRES DITES "SOLUBLES" : ANALYSE ET RÔLE NUTRITIONNEL
  La détermination des fibres dites "solubles" dans un aliment ou une matière première a fait l'objet de quelques études antérieures, sans produire une méthode qui conviennent pour l'alimentation animale, en termes de précision, de répétabilité, et de coûts. Ainsi, actuellement, il existe plusieurs "méthodes" pour estimer cette fraction la plus digestible des fibres (car rapidement fermentescibles dans le caecum du lapin), et qui correspond à un ensemble de composés, regroupant, les pectines, béta-glucanes, etc. (voir figure 4), dont certains sont solubles dans l'eau (chaude) et d'autres non.
Figure 4: Les différentes fractions des fibres et quelques méthodes d'analyse gravimétriques,
selon Trocino et al.
  L'une des méthodes, assez régulièrement utilisée dans les dernières études chez le lapin, consiste à estimer ces fibres solubles par différence entre deux résidus : le TDF (fibres totales) et le NDF.

Ainsi, le groupe EGRAN (Xiccato et al.) réalisé une étude inter-laboratoire (n=5) pour préciser, avec des aliments composés et quelques matières premières, la validité de l'analyse des fibres totales (TDF, méthode enzymatique AOAC 991.43), et des fibres solubles calculées par différence avec le NDF.
Les résultats indiquent une bonne répétabilité (0,95% MS = variabilité intra-laboratoire) et une bonne reproductibilité (1,68% % MS = variabilité inter-laboratoire) de la méthode TDF, cette dernière étant même inférieure à celle du NDF. Cependant, cette analyse TDF pour des ingrédients riche en fibres "soluble" (marc de raisin ou pulpe de betterave) montre une plus grande variabilité.

Le calcul des fibres solubles (figure 5 ) montre un assez faible écart entre laboratoires, dans le cas de concentration faible ou intermédiaires (Fibres solubles entre 4 et 11% MS). Cette méthode mérite d'être harmonisée pour améliorer sa répétabilité (2,5% MS) et sa reproductibilité (3% MS).

Figure 5: Variations inter-laboratoires de la teneur en fibres solubles (%MS) pour des aliments composés et des matières premières

Figure 6: Relation entre fibres solubles et mortalité chez le lapin en croissance

Le rôle nutritionnel des fibres solubles "FS" chez le lapin en croissance a fait l'objet d'une intéressante synthèse (Trocino et al.), même si certains points demeurent discutables (tel que l'estimation des valeurs en "FS" d'études anciennes qui sont incluse dans leur méta-analyse bibliographique de 20 articles).

Ces auteurs proposent des équations (basée sur 10 articles du même laboratoire) pour corréler des paramètres de croissance, de digestion ou de santé, avec les fibres solubles (TDF-NDF) ou avec les fibres dites "digestibles" (FD) estimées par différence entre TDF et ADF.
Ainsi, la digestion d'un aliment est en général un peu mieux corrélée avec SF qu'avec FD, ce qui est logique puisque la méta-analyse a sélectionné des études où la concentration en fibres rapidement fermentescible varie assez fortement. Les corrélations obtenues avec SF et FD sont semblables, pour des critères de mortalité post-sevrage, de volumes digestifs ou d'activité fermentaires caecales.
La relation entre la teneur en FS et l'acidité caecale ou la teneur en AGV est globalement positive, ce qui est logique au vu de la fermentescibilité rapide de ces composés.

L'un des points les plus intéressant est la relation avec la mortalité post-sevrage et le taux de FS (figure 6). Il semble que le taux de mortalité soit minimum entre 8 et 12% de SF (% brut). Pour des teneurs inférieures à 8 %, aucune relation n'est visible étant donné la forte variabilité de réponses observée entre études (0 à 40% de mortalité!).

Selon les auteurs, cette réduction de mortalité pourrait être associée à une meilleure "qualité" de la muqueuse (ratio villi/cryptes plus haut), et plus forte activité des disaccharidases au sevrage. Ces conclusions restent à confirmer. Les auteurs concluent également sur les recommandations en fibres pour le lapin en croissance, et tentent une comparaison un peu hasardeuse entres les recommandations de l'INRA et celles de l'université de Madrid. Néanmoins, les critères utilisés sont différents entre ces 2 "équipes". Actuellement, les recommandations de l'INRA (suites aux études du GEC) se base sur un équilibre d'apport entre l'ADF (peu digeste) et les fibres digestibles "FD" (calculées par la somme des hémicelluloses et des pectines insolubles), et n'utilise pas le critère fibres solubles calculé par différence entre TDF et NDF (trop peu fiable pour le moment).

 

CONCLUSIONS
 

 

En conclusion, quelques études ont contribué à améliorer nos connaissances sur la biocénose caecale et son activité. Il en va de même pour la synthèse sur les fibres solubles. Cependant il y a encore n écessité de poursuivre les investigations, avant de proposer de nouveaux critères de formulation basés sur les fibres rapidement fermentescibles (ou "solubles")

En revanche, les études portant sur l'impact de divers nutriments et/ou additifs sur la physiologie sont souvent assez peu originales, et quelque peu décevantes du point de vue de leur future application en cuniculture.