19 février 2013 - Journée d'étude ASFC «Sharm El-Sheikh - Ombres & Lumières»

Utilisation des matières premières et techniques d'alimentation
Les apports lors du 10ème Congrès Mondial de Cuniculture


par


François LEBAS * et Joël DUPERRAY**

* Cuniculture, 87a Chemin de Lasserrre , 31450 Corronsac
** In Vivo NSA, Talhouët, 56006 Vannes Cedex

 


J. Duperray et F. Lebas lors de leur intervention

Pour cette analyse de l'utilisation des matières premières et des techniques d'alimentation nous avons d'abord retenu les informations contenues dans 38 communications. Nous y avons ensuite ajouté 11 communications concernant divers additifs alimentaires, portant le total à 49. Ces différentes communications étaient incluses pour leur majorité dans la session "Nutrition et Physiologie digestive" du Congrès mais aussi dans les sessions consacrées à la qualité des produits, la conduite d'élevage ou à la reproduction dans le mesure où lews auteurs fournissaient la composition des aliments utilisés.

I - UTILISATION DES MATIÈRES PREMIÈRES
1 - Plantes et sous produits tropicaux
Ces produits ne seront évoqués ici que de manière marginale car ils présentent pas un intérêt direct pour l'alimentation des lapins français ou même européen. Par contre les objectifs des essais et surtout la méthodologie utilisée peuvent apporter quelques enseignements. Au total 30 matières premières utilisées ou utilisables pour l’alimentation du lapin dans les pays tropicaux ont été analysées ou étudiées plus en détail dans les communications du Congrès


Moringa oleifera

Tephrosa candida

Cajanus cajan

Centrosema pubescens

Deux communications portent sur l'utilisation de fourrages verts fournis aux lapins en complément d'un aliment concentré distribué en quantité limitée. Ainsi, Ola et al (Nigeria) ont proposé à des lapines reproductrices (10 par lot) des feuilles de 3 espèces d'arbres ou arbustes Moringa oleifera, Tephrosia candida et Cajanus cajan et celles d'une légumineuse fourragère Centrosema pubescens distribuées à volonté. Ces 4 plantes présentent l'avantage de fournir du fourrage vert pendant la saison sèche et leurs feuilles contiennent entre 17 et 21% de protéines par rapport à la matière sèche. Avec les deux premières plantes, les lapines qui ne disposaient de concentré qu'à raison de 2% du poids vif, les performances de reproduction sur 2 cycles ont été proches de celles des lapines alimentées uniquement avec du concentré (6% du poids vif). Par contre avec les deux dernières plantes, les performances ont été nettement inférieures en raison d'un moindre taux de conception (60,0 et 72,5% vs 82,5%) et d'une plus faible taille de portée à la mise bas (4,2 et 4,0 vs 5,8). Les auteurs ne tentent pas de fournir d'explications à ces différences mais on peut remarquer que les protéines de Centrosema sont particulière carencées en lysine et que les feuilles de pois d'Angole (Cajanus cajan) sont particulièrement pauvres en phosphore (0,17% de la MS contre 0,26 à 0,35% pour les autres fourrages).
Tableau 1 : Performances de reproduction avec différents fourrages verts tropicaux
(Ola et al.)
  Dans leur travail sur l'alimentation de lapins en engraissement avec la partie aérienne des patates douces, Garza et al. (USA) ont utilisé comme concentré distribué en quantité limitée soit un aliment complet granulé standard US soit de l'avoine. Ces deux choix nous semblent curieux pour un travail qui s'inscrit dans un programme d'alimentation des lapins chez les petits éleveurs des pays tropicaux. Dans la majorité des pays tropicaux si un aliment concentré équilibré est parfois disponible (mais cher) de l'avoine n'est jamais disponible, car c'est une céréale typique des pays tempérés à tempéré froid (Canada premier exportateur mondial). La distribution à volonté des tiges+feuilles de patate douce et de 50% de l'aliment concentré consommé par les lapins témoin (48.2 vs 96,9 g/jour) réduit de 20% environ la vitesse de croissance avec une consommation spontanée de fourrage de 17,5 g par jour. Avec une distribution de 35g d'avoine aplatie la consommation de fourrage est plus élevée (26,5 g MS/jour), mais la croissance est plus fortement altérée (15,4 g/j vs 26,5 g/j pour le témoin).
Tableau 2 : Etude des feuilles de patate douce comme fourrage complémentaire chez le lapin en croisance en milieu tropical
  


Les feuilles de Moringa sont récoltées, séchées puis broyées avant utilisation

De leur côté, Ewuola et al (Nigeria), ont incorporé 5 - 10 ou 15% de farine de feuilles de Moringa oleifera dans l'aliment complet équilibré (non granulé) distribué à des lapins en croissance entre 8 et 17 semaines. Sur la base exclusive du profil sanguin des animaux en fin d'essai, ils concluent que les feuilles de Moringa (~27% de protéines brutes) doivent pouvoir être utilisées sans problème dans la formulation des aliments pour lapins en croissance.

Heureusement pour eux, les travaux d'autres équipes ont effectivement conclu à l'intérêt des feuilles de Moringa oleifera pour l'alimentation des lapins en engraissement ou des lapines reproductrices (voir ci-dessus par exemple la communication de Ola et al à ce même congrès). En effet, la croissance moyenne dans l'essai de Ewuola et al. n'a été que de 6 g/jour alors que la croissance classique des lapins locaux est de 12 à 17g/jour pour un période similaire.


Tableau 3 : Teneur en proteines de 3 matières première dans l'étude de Lebas et al. et selon les tables INRA

Enfin, pour clore l'analyse des communications sur l'usage des plantes et sous produits tropicaux, il nous faut mentionner le travail de Lebas et al (France) qui ont fourni la composition chimique de 25 matières premières utilisées au Bénin pour l'alimentation des lapins, mais sans donner aucun résultat d'essai d'alimentation. Ces données sont en effet destinées à la formulation des aliments pour lapins, et elles ont été effectivement utilisées.

L'intérêt de ce type d'analyses est démontré par la comparaison des compositions obtenues par rapport aux tables classiques de référence. Ainsi la teneur en proteines du maïs grain a été trouvée plus faible de 4% ,mais surtout celle des graines de soja plus forte de 17% par rapport aux tables INRA (Tableau 2). Par ailleurs, la teneur en potassium a été trouvée très élevée pour deux plantes rudérales poussant spontanément autour des villages : Bidens pilosa 3,9% de K dans la matière sèche et Desmodium scorpiurus 3,4%, ce qui peut provoquer des troubles digestifs en cas d'utilisation intense de ces fourrages.

 

2 - Plantes et sous produits des pays tempérés

Au total dix matières premières utilisées ou utilisables pour l’alimentation des lapins en pays tempéré ont fait l’objet de communications lors du Congrès.

Lounaouci et al. (Algérie) ont une nouvelle fois montré qu'un aliment simplifié (son de blé, maïs, luzerne, premix) permet aux lapins de population locale d'avoir de bonnes performances de croissance sans altération des performances à l'abattage avec des taux d'incorporation du son de blé dur pouvant atteindre 60% de la ration.
Parallèlement, également en Algérie, Lebas et al. ont montré qu'un aliment simple contenant 20% de paille de blé dur et du tourteau de soja en quantité nécessaire (14%) permet d'obtenir des performances de croissance et d'abattage équivalentes à celles obtenues avec une ration à base de foin de luzerne (32%) et nettement supérieures à celles obtenues avec l'aliment commercial local servant de témoin
.


Graines de lupin blanc

Figure 1 : Production laitère de lapines recevant ou non un aliment contenant 25% de graines de lupin (Volek et al., 2012)

Volek et al. (République tchèque) ont montré, ce que l'on savait déjà, que les graines de lupin blanc peuvent être utilisées à raison de 12% dans l'alimentation des lapins en croissance en remplacement total des tourteaux de la ration (soja et tournesol).

Par contre la partie de leur travail sur l'effet d'un taux de 25% de graines de lupin dans l'alimentation des lapines reproductrices est plus originale. En effet l'aliment à base de lupin permet d'accroître la production laitière des lapines, de 11% sur la lactation globale (1-30 jours). Cet effet est principalement dû à une beaucoup moins forte réduction de la production laitière au delà de la 3ème semaine (277 vs 229 g de lait par jour; figure 1). Cet effet est à mettre en relation avec l'élévation de la teneur en matières grasses avec l'apport de lupin: 4,1% contre 2,3% de l'aliment témoin à base de tourteaux de soja et de tournesol.
En étudiant la composition du lait (prélevé à 21 jours) ces auteurs ont constaté qu'avec le lupin le lait est nettement plus gras qu'avec les tourteaux de soja + tournesol (61,4% MS vs 48,5% MS). En outre ces matières grasses ont une teneur plus forte en acide linolénique (C18:3 oméga 3) et surtout en EPA (C20:5 oméga 3 : 0,07 vs 0,01% des acides gras totaux). Si les performances de croissance entre 30 et 72 jours ne sont pas modifiées par l'usage du lupin (12%), les auteurs constatent qu'avec cette graine protéagineuse riche en huile (10-12%) l'index de risque sanitaire est beaucoup plus bas qu'avec les tourteaux (3,0 vs 16,7% ; P = 0.016). Ils mettent en relation ce bon état sanitaire avec la consommation d'un lait riche en oméga 3 pendant la période d'allaitement.


Fleurs et racines de chicorée (avant traitement pour extraction de l'inuline)
Parmi les études de matières premières un peu plus "innovantes", il convient de signaler les bons résultats de croissance obtenus par Guermah et Maertens (Belgique) avec 10 ou 20% de pulpe de chicorée restant après extraction de l'inuline, comparativement à ce qui a été observé avec une autre source de fibre digestibles, la pulpe de betterave. Ces bons résultats sont à rapprocher de ceux de Maertens et al. qui ont obtenu de meilleurs performances de reproduction en proposant aux lapines des blocs à ronger à base de fibres de bois contenant 15% de pulpes de chicorées comparativement à ceux qui contenaient du sirop d'inuline ou aucun "additif".

Tableau 4 : Performances de croissance des lapins recevant 10 ou 20% de pulpe de chicorée

Principe de la récolte des pois de conserverie ainsi que des tiges et feuilles.
En Egypte Hassan et al. ont testé les possibilités d'utilisation chez le lapin en croissance des tiges et feuilles de petits pois restant après la récolte (petits pois de conserve). Le sous-produit a été fané au soleil puis incorporé à taux croissants de 0 à 35% jusqu'à remplacer totalement de foin de trèfle d'Alexandrie dans la ration. Les deux produit ont une composition chimique très voisine (13,4 - 13,8 de protéines; 43,2 - 42,7% de NDF), si on excepte une teneur en minéraux totaux plus faible dans le foin de sous-produit de pois (7,2 vs 12,8%) et une teneur plus élevée en lignine (7,7% vs 5,5%).
Les performances de croissance ont été un peu améliorées avec le sous-produit de pois (tableau 5), mais la conception de la ration pose un problème. En effet les auteurs ont ajouté 0,4% de methionine dans tous les aliments expérimentaux portant l'apport total d'acides aminés soufrés à 0,93% (0,64% de méthionine + la cystine constitutive des matières premières). Ceci conduit à un très net excès d'AAS connu pour induire une altération des performances. L'idée de l'expérimentation était intéressante mais ses conditions de réalisation ne permettent pas de conclure.

Tableau 5 : Performances de croissance et de digestibilité chez des lapins recevant une proportion croissante
de tiges et feuilles de pois séchées, en remplacement de foin de trèfle d'Alexandrie (Hassan et al., 2012)

Roseau commun et les feuilles utilisées pour l'essai
En Algérie Kadi et al. ont testé la valeur des feuilles du roseau commun séchées (Phragmites australis) comme source de fibres (64% de NDF; 10% de protéines, digestibles à seulement 29%). Ce produit s'avère avoir une valeur énergétique nulle voire négative (altération de la digestibilité du reste de la ration).
Avec un taux de 15% dans l'aliment, la vitesse de croissance a été similaire à celle des lapins témoin (38,4 vs 38,9 g/j) au cours des 3 premières semaines expérimentales (35-56 j) mais elle a été plus réduite avec un taux d'incorporation de 30% (33,9 g/j). Sur la période totale (6 semaines), la croissance a été significativement plus faible avec les 2 taux d'incorporation de feuilles de roseau (31,8 et 31,1 g/jour vs 34,2 g/j). En tout état de cause ce travail reste d'un intérêt tout à fait académique. En effet, pour faire l'essai, les feuilles ont été séparées manuellement des tiges. La pratique de ce type de séparation tiges-feuilles, même mécanique, n'a aucune chance d'être mise en place s'il était envisagé d'utiliser le roseau commun comme source de fibre pour l'alimentation du lapin dans notre pays.
Dans un autre optique la même équipe algéro-française (Univ. Tizi-Ouzou et INRA Toulouse) a testé la valeur du sulla vert comme aliment unique pour des lapins. Le sulla (Hedysarum flexuosum) est en effet une légumineuse fourragère poussant spontanément dans certaines régions du Maghreb ou du sud de l'Italie, particulièrement résistante à la sécheresse. Utilisé comme seul aliment, le sulla a permis une croissance de 19 g/jour contre 32-34 g/j avec un aliment complet équilibré (voir communication précédente). Sa teneur en énergie digestible (9,2 MJ/kg MS) et en protéines digestibles (14,5 % MS) en font une matière première d'une valeur similaire à celle de la luzerne.
 

L'équipe argentine de Trigo et al. a testé la valeur alimentaire d'une farine de plume hydrolysée en remplacement de farine de viande dans des rations à 14 et 17% de protéines brutes. La vitesse de croissance a été similaire pour les 4 traitements (29-30 g/jour).
Les auteurs concluent à l'intérêt économique de la farine de plume. Malheureusement les formules alimentaires sont inconnues, la nature du traitement des plumes est inconnue, la composition chimique de ces plumes est inconnue, le prix au kg est inconnu et enfin le taux exact d'incorporation est aussi inconnu. Alors il est difficile d'adhérer aux conclusions des auteurs faute d'information, surtout quand on sait par ailleurs que les farines de plumes hydrolysées en général sont fortement carencées en lysine (couverture de 42% des besoins) alors que les farines de viande sont riches en cet acide aminé (110-120% des besoins). Il ne faut cependant avoir qu'un demi-regret dans la mesure où en France sous la pression des organisations de consommateurs, seuls les aliments "100% végétaux + minéraux" ont droit de cité et où tout produit d'origine animale est bannis de la formulation des aliments sans que plus personne ne se pose officiellement la question de savoir s'il y a réellement un risque associé à tel ou te produit d'origine animale (mammifères, oiseaux, poissons, …tous dans le même sac).


De la luzerne verte distribuée quotidiennement (40 g/jour) en sus de l’aliment granulé

En marge des essais alimentaires stricts, il nous est apparu utile de mettre en avant deux autres essais.

Ainsi Dal Bosco et al. (Italie) ont mis de la luzerne verte à disposition permanente des lapins pendant les 30 derniers jours précédant un abattage à 80 jours (placée sur les cages), en plus d'un aliment granulé complet également à volonté. De la discussion en séance lors du congrès il ressort que la consommation de luzerne verte était d'environ 40 g/jour et par tête. Comme attendu, la qualité de la viande et plus particulièrement celle des lipides contenus ont été améliorées par ce traitement (objet principal de l'essai) Ainsi, par rapport au témoin l’addition de luzerne donne une viande plus maigre : 1,19% vs 2,15% de lipides dans la viande fraîche (muscle du râble = longissimus dorsi). Il a été constaté une augmentation de la proportion de tous les acides gras de type oméga 3 dans ces lipides (C18:3 et à chaîne longue) ainsi qu’augmentation de la teneur en oméga 3 totaux : 152 vs 105 mg d’oméga 3 / 100 g de muscle (+ ~ 50%).
Malheureusement aucune donnée de croissance n'est fournie, pas même le poids d'abattage. Il est dès lors difficile de se faire une idée de l'intérêt technique de cette supplémentation en luzerne verte même si l'intérêt économique apparent est plus que probable, puisque l'éleveur concerné peut vendre ses lapins "élevés à la luzerne verte" 2,5 € le kg vif alors que prix du lapin classique dans la même région d'Italie est de 1,69 €/kg vif.

Enfin Szendrö et al. (Hongrie) dans un essai visant aussi à améliorer la qualité de la viande de lapin, ont incorporé 3% d'huile de lin en replacement de la même proportion d'huile de tournesol. La ration avec huile de lin a aussi été additionnée de sélénium et de vitamine E. Cela n'a entraîné aucune modification significative des performances de croissance (consommation, vitesse de croissance et indice de consommation) ou d'abattage. Toutefois, cet essai laisse penser que la viabilité d'engraissement pourrait être améliorée avec la modification alimentaire (huile de lin + sélénium +vitamine E), mais les réponses ne sont pas simples en fonction de la durée d'utilisation de l'aliment expérimental (de 4 à 1 semaine avant abattage).

 

3 - Les différentes matières premières utilisées dans les aliments expérimentaux

Les auteurs des différentes communications de la session "nutrition" mais aussi de la session "qualité de la viande" ou "reproduction" ont généralement fourni le composition centésimale des aliments expérimentaux employés. Nous avons relevé la formule des différents aliments témoin, ainsi que celle des aliments expérimentaux des études ne portant pas spécifiquement sur la valorisation des matières premières. L'hypothèse forte que l'on peut faire est que ces auteurs considèrent qu'il n'y a pas de risque particulier à employer ces matières premières dans l'alimentation des lapins et les taux employés sont donc indicateurs des possibilités d'emploi. Pour ce congrès , nous avons relevé 39 formules alors qu'il y a 4 ans lors de l'analyse des communications du précédent congrès (Vérone en 2008) nous en avions relevé 58 compte tenu du plus grand nombre de communications.

L'analyse de ces 39 formules alimentaires a permis de montrer que les aliments utilisés dans les expérimentations sur lapins, principalement pour l'engraissement, contiennent en moyenne environ 23% de céréales, autant de sous-produits céréaliers (son de blé principalement), environ 34% de sources de fibres (luzerne principalement) et 14% de tourteaux (tableau 1).


Figure 2 : Structure de l'aliment "moyen" représentant les 39 formules relevées dans les communications du congrès

Tableau 6 : Principales matières premières (MP) utilisées dans 39 formules expérimentales avec indication de la fréquence d'emploi (si présence dans au moins 4 formules), du taux moyen d'incorporation lorsque cette MP est utilisée, du taux maximum d'emploi observé et du taux calculé pour un aliment moyen représentant les 39 formules présentées lors du Congrès.

Figure 3 : Fréquence d’utilisation des différentes matières premières parmi les 39 formules recueillies (si présentes dans au moins 3 formules)
Au plan de la fréquence d'utilisation on peut d'abord souligner la très forte fréquence d'incorporation de la luzerne (64% des formules en contiennent en moyenne 31%). Parmi les sources de fibres (digestibles), la pulpe de betteraves est présente dans 36% des formules.
On doit aussi remarquer qu'au plan international, le maïs est une céréale relativement souvent utilisée dans les aliments expérimentaux (40% des formules en contiennent) alors que cette céréale est très généralement exclue des aliments commerciaux pour lapins en France. Cette différence de fréquence d'utilisation vient de ce que la très grande majorité des auteurs qui ont incorporé du maïs dans leurs aliments expérimentaux travaillent dans des pays plus chauds que la France. Dans ces pays, le risque de présence de mycotoxines dans le maïs est beaucoup plus faible qu'en France, la céréale étant récoltée sèche sur pied alors que dans notre pays elle est récoltés encore un peu humide (situation favorable au développement de mycotoxines) et séchée artificiellement. Pour quelques pays le maïs est importé avec des contrôles qualitatifs plus ou moins pointus, et le risque de présence de mycotoxines est alors bien réel, mais c'est souvent la seule céréale disponible sur place (toutes les formules expérimentales contiennent au moins une céréale).
Enfin, parmi des matières premières utilisées dans seulement deux des 39 formules présentées lors du congrès, il convient de signaler le tourteau de colza (incorporé à 2 & 3%), le tourteau d'arachide ( à 2 & 16%), la farine de poisson (à 1 & 7,8%), les cosses de soja (à 3,1 & 6,9%) ainsi que les anas de lin (à 6,5 & 7,5%).
 
II - TECHNIQUES D'ALIMENTATION

1- Maîtrise quantitative de l'ingéré

L'équipe tchèque de l'université de Prague a présenté 3 communications issues d'une même expérimentation dans laquelle les lapins en engraissement ont été fortement rationnés entre 42 et 49 jours (50g ou 65g d'aliment par jour - lots 50R et 65R - contre 174 g/j chez le témoin ad libitum lot AL) puis alimentés à nouveau à volonté jusqu'à la fin de l'engraissement à l'âge de 70 jours. L'analyse rapide de leurs résultats montre pour la période globale 35-70 jours une croissance réduite chez les lapins des lots R50 et R65 (49,9 et 48,6 g/j) par rapport au témoin alimenté toujours à volonté (55,2 g/j). Pendant la semaine de restriction entre 42 et 49 jours, elle aurait été de 8,3 et 15,1 g/j pour les lots 50R et 65R contre 75,0 g/j (??) pour le lot AL.
Malheureusement, pour connaître l'incidence de ce rationnement court mais intense sur la croissance et le développement biologique des animaux, les auteurs ont effectué l'abattage de 8 lapins par lot chaque semaine de 49 à 70 jours, soit la moitié des 64 lapins affectés initialement à chaque lot. Or pour des raisons non expliquées, les auteurs ont abattu à chaque âge non pas des lapins représentatifs mais des lapins de même poids vif quelque soit le lot (Tumova et al.). De ce fait ils ont sacrifié en cours de croissance les plus lourds des lapins restreints et les plus légers des lapins du lot nourris à volonté. En faisant cela; ils ont complètement biaisé les performances moyennes obtenues avec les animaux restant ainsi que la signification des observations faites après abattage. Leurs résultats ne doivent donc pas être pris en considération en dehors de ceux obtenus avant le premier abattage (49 jours) A titre d'exemple nous avons reporté au tableau 7 les poids moyens enregistrés à 49 jours (fin du rationnement). Les lapins abattus issus du lot 65R pesaient par exemple 127g de plus que ceux du témoin, alors qu'en moyenne les lapins du lot 65R pesaient 432g de moins.
 

Tableau 7 : Poids moyen des lapins à la fin de la semaine de restriction
et poids des lapins sacrifiés qui auraient du représenter chacun des 3 lots
Ce biais expérimental supprime toute validité aux observations faites sur les lapins expérimentaux
dans les 3 communications de l'équipe de l'université de Prague.
  En outre, avec un rationnement quantitatif aussi drastique, appliqué à des lapins logés à raison de 3 par cage, on est en droit de se demander si les 3 lapins de chaque cage ont bien été tous les trois rationnés au même niveau. Il est plus que probable que l'un des individus ait consommé au moins une fraction de la part des autres et n'était de ce fait pas aussi rationné; il est alors devenu plus lourd et a eu bien des chances d'avoir été retenu pour l'abattage. Que penser alors de l'interprétation des observations faites lors de son abattage ?
De manière heureusement beaucoup plus classique et non biaisée, Teillet et al. (Copri) ont montré une nouvelle fois qu'un rationnement quantitatif, conforme à la recommandation du fournisseur de souche (Hypharm) conduit à une consommation effective réduite de 14%, à un poids à 69 jours réduit de 4,5% seulement et à une viabilité améliorée en l'absence de tout traitement (mortalité de 11% vs 17,7%). L'addition à la ration d'un extrait d'une papavéracée (Sangrovit® à 80 ppm) permet d'obtenir chez les lapins nourris à volonté une croissance similaire à celle du témoin à volonté (44,1 vs 43,1 g/j pour le témoin), une mortalité et un indice de consommation numériquement inférieurs à ceux du lot rationné.
 

Chez des lapins soumis à une infection expérimentale d'EEL, Duperray et al. (Evialis - In Vivo NSA) ont également une nouvelle fois montré qu'une restriction quantitative de l'aliment distribué à 85% de la consommation à volonté, réduit sensiblement l'index de risque sanitaire en cours de croissance avec une altération modérée (non significative) de la vitesse de croissance: 36,3 vs 38,2 g/j. Le rationnement a permis de diviser la mortalité par deux chez ces lapins, rapellons-le, infectés par l'EEL : 7,5 vs 15% chez les temoins à volonté.

 

2 - Maîtrise du temps d'accès à la mangeoire Dans la communication précédente; les auteurs ont aussi testé l'effet de la restriction du temps d'accès à la mangeoire, chez les lapins expérimentalement infectés par l'EEL . Le restriction du temps d'accès à 12 ou 14 heures par jour réduit la mortalité et la morbidité de manière similaire à la restriction quantitative (85%) mais sans altération de la vitesse de croissance. Bien au contraire, les lapins étant moins affectés par l'EEL que les témoin ad libitum leur croissance a été significativement supérieure à celles des lapins (survivants) du lot témoin ad libitum : 40,8 et 42,1 g/jour sur la période totale 34-69 jours pour les accès limités à 12 et 14h/24h, contre 38,2 g/jour pour le témoin. Les auteurs ont calculé qu'en fin d'essai lorsque des lapins infectés par l'EEL alimenté ad libitum, fournissent 100 kg de poids vif partant pour l'abattoir, le lot rationné à 85% en fournit 105 kg, celui pouvant consommer 12h/jour 110 kg et le lot consommant 14h/jour en fournit 115 kg.
  L'équipe portugaise de Pinheiro et al. a aussi étudié l'effet de différentes restrictions du temps d'accès à la mangeoire pendant les 4 premières semaines d'un engraissement de 5 semaines. L'accès à la mangeoire seulement 5 heures par jour ou seulement un jour sur deux réduit fortement la croissance globale : 32,9 et 34,6 g/jour vs 41,3 g/j avec un accès permanent et améliore corrélativement l'indice de consommation : 2,70 et 2,78 vs 3,22. La limitation de l'accès à 10 heures par jour n'entraîne pas d'altération de la croissance; celle-ci est même numériquement améliorée (43,1 vs 41,3 g/j) et l'indice de consommation significativement amélioré (3,03 vs 3.22). Les effets sur la mortalité ne sont pas significatifs (45 lapins par lot; moyenne de 7,5% sur 5 semaines). Enfin il faut signaler que pour ces lapins logés à raison de 5 sujets par cage, les 3 modes de restriction du temps d'accès à la mangeoire altèrent le profil comportemental des animaux.
 
Lots
Témoin AL
AL10h
AL 5h
1 jour /2
GMQ g/jour
41,3
43,1
32,9
34,6
IC
3,22
3,03
2,70
2,78
Tableau 8 : Performances de croissance et indice de consommation moyens d'engraissement (durée 5 semaines)
des lapins alimentés les 4 premières semaines à volonté en continu (témoin), seulement 5 ou 10 heures /24 ou un jour sur deux

3 - Présentation des aliments

L'équipe Techna, dans une communication signée de Séverine Montessuy et collaborateurs, a présenté au plan international le travail publié en français aux dernières journées de la recherche cunicole sur l'éventuelle possibilité d'utiliser une présentation "mash" pour alimenter les lapins. Contrairement à ce qui est observé dans d'autres espèces animales, la présentation "mash" (granulés et une partie des matières premières de la ration ± brutes proposés en mélange aux animaux) ne présente, dans le cas du lapin en engraissement, aucun avantage technique ou économique.

 

 

Enfin, Salaün et al. (Sanders) ont étudié la possibilité de fournir aux lapins un complément nutritionnel en période chaude via l'eau de boisson. Malheureusement pour les auteurs, les conditions climatiques au cours de l'essai conduit dans l'Ouest en 2011 n'ont pas permis de mettre en évidence d'effet du mélange complémentaire malgré les 576 lapins mis en essai par lot (pas de période forte chaleur au cours de l'été 2011). Par contre cela été l'occasion de mesurer la consommation d'eau des lapins n'ayant accès à l'alimentation solide que 12 heurs/24h.
Entre 35 et 56 jours la consommation d'eau a été de 2,01 litres par kg d'aliment consommé. Entre 56 et 71 jours le ratio a été de 2,06, ce qui correspond pour la durée totale de l'engraissement à un ratio de 2,04 litres/kg d'aliment. Au plan quantitatif, cela représente une ingestion de 175 ml/kg de poids vif entre 35 et 56 jours, puis 137 ml / kg de poids vif entre 56 et 71 jours, soit 160 ml/kg de poids vifs en moyenne pour la période totale d'engraissement. Ce chiffre est à rapprocher des 120-130 ml/kg de poids vif proposés deux mois plus tard par B. Le Normand à la journée Itavi de novembre 2012 : 170 ml juste après le sevrage se réduisant à 100 ml/kg de poids vif en fin d'engraissement.

   
III ADDITIF ALIMENTAIRES
 
Dans cette partie il convient d'abord de citer un travail classique de nutrition de Jing et Li (Chine). Ils ont étudié, chez le lapin en croissance, l'effet d'une addition progressive de lysine pure (un additif aux yeux de la législation française et européenne). Avec une gamme allant de 5,5 à 9,6 g/kg d'aliment tel quel, ils observent un optimum de la croissance avec 8,6 g de lysine par kg d'aliment (figure 3). Par contre le taux IGF-1 du sérum (insulin like growth factor-1) s'accroît systématiquement avec le taux de lysine (P=0,07) jusqu'au taux maximum expérimenté. Le taux de GH circulant suit la même tendance. Il en va de même pour les taux d'ARN-messager de l'IGF-1 dans le foie (P=0,053) et le muscle (P=0,08).

Figure 3 : Vitesse de croissance des lapins type NéoZélandais Blanc en fonction du taux de lysine alimentaire, d'après Jing et.Li
  Un équipe italo-hongrois a consacré pas moins de 6 communications à la description fine d'une même étude portant sur l'effet de l'incorporation de 5% de farine de spiruline (une algue microscopique cultivée) ou 3% de farine de thym, ou la combinaison des deux. Ils n'ont observé aucun effet sur les performances de croissance (GMQ, consommation, IC), de mortalité (1,7% en moyenne avec 42 lapins par lot) ou de morbidité (9,9% de moyenne) (Gerencsér et al, Hongrie). Il en a été de même pour les performances à l'abattage (Dalle Zotte et al., Italie).
  Dalle Zotte et al (Italie) ont ajouté à l'aliment 0,4% des tannins hydrolysables provenant du bois de châtaigner. Cette addition n'a eu aucun effet sur la vitesse de croissance des lapins entre 5 et 11 semaines (49,1 g/j), ni sur leur indice de consommation (3,1 en moyenne) ou la mortalité en engraissement (3,8% en moyenne). Il n'y a pas eu d'effet non plus sur les performances à l'abattage ou la stabilité oxydative de la viande.
  Les mannan-oligosaccharides (pré-probiotques) introduits dans l'alimentation des lapins sont censés améliorer leur santé digestive.
Effectivement une communication de Iannocone et al. (Italie) mentionne que sur une série d'essais étalée sur 5 ans (2007-2011) et impliquant 1152 lapins au total, l'incorporation de 1g/kg de mannan-oliogosaccharides (MOS) a permis de limiter la mortalité en engraissement à 13,6% contre 21,4% chez le témoin. Dans cette même série, l'usage d'un cocktail d'antibiotiques (colistine + tylosine + oxytétracycline) a été pratiquement sans efficacité (mortalité de 19,7%). Dans le contenu caecal, la présence de MOS était associée à un taux plus important d'acides gras volatils totaux et à une réduction du taux d'ammoniaque.
 

Par contre, dans des conditions sanitaires plus satisfaisantes (mortalité moyenne de 3,5%) Tazzoli et al (Italie et Espagne) ont montré que l'addition de 0,4g ou 0,8/kg de MOS n'a eu aucun effet sur la viabilité des lapins en engraissement ni sur leurs performance de croissance ou d'abattage (64 lapins par lot). L'étude de la digestibilité des aliments n'a pas montré non plus de différences significatives de leur valeur nutritive. Cet essai comportait aussi des lots avec incorporation de béta-glucanes (0,1 et 0,2 g/kg de l'aliment) qui n'a également eu aucune influence significative sur les mêmes paramètres.

 

CONCLUSION : des lumières et des ombres
  Les communications présentées lors ce de 10e congrès mondial dans le domaine des matières premières, des additifs et des modes d'alimentation, ont surtout confirmé ou mieux validé les informations déjà connues. Quelques données nouvelles (le côté "Lumières du congrès) ont été cependant été fournies comme la possibilité d'ajouter de la luzerne verte sur les cages d'engraissement pour modifier la composition de la viande, l'effet du lupin sur la production laitière ou la mesure de la consommation d'eau chez des lapins alimentés 12h par jour.

Cette revue des différentes communications a aussi été l'occasion de démontrer qu'il ne faut pas toujours faire confiance aux simples résumés fournis par les auteurs : certains aliments s'avèrent déséquilibrés (étude des tiges de petits pois), dans d'autres essais les informations données sont notoirement insuffisantes (étude des plumes hydrolysées) soit encore, ce qui est plus grave, le protocole expérimental lui-même peut comporter des biais rendant impossible toute interprétation des résultats (cas de l'étude d'une rationnement drastique limité à une semaine). Ces différents points négatifs (le côté "Ombres" du congrès) n'apparaissent qu'à la lecture attentive du texte de chaque communication et ne sont évidemment pas mis en avant par les auteurs des communications. Les mettre en évidence est l'un des apports de l'ASFC à la filière cunicole française.