31 janvier 2017 - Journée d'étude ASFC «Qingdao -Ombres & Lumières»
Poils & Fourrure :
Les apports du 11ème Congrès Mondial de Cuniculture

par

Daniel ALLAIN* et Joël DUPERRAY**

* INRA, UMR GenPhySE Center de recherches de Toulouse, 31326 Castanet Tolosan
** EVIALIS, Talhouët 56250 Saint-Nolff

 


Les deux orateurs pendant leur exposé

Dix-huit communications (un rapport invité et 17 communications courtes) ont été présentées lors de la session : Poils & Fourrure soit nettement plus que lors du précédent congrès (3 communications : 2 en session génétique et 1 en session nutrition et physiologie digestive). Toutes les communications proviennent de Chine, à l'exception d'une de France.
L'ensemble de ces communications peut s'articuler autour de 3 volets :

  1. Technologies de transformation des peaux (5 communications dont papier invité) : 4 sur la fourrure rex et 1 sur le poil angora ;
  2. Génomique et transcriptomique des gènes modificateurs de la structure ou la couleur du pelage (6 communications) : 5 sur le lapin Rex et 1 sur le lapin angora ;
  3. Maitrise production poils et fourrures (7 communications) : 5 sur la production de lapin rex et 3 sur le lapin angora.
1. TECHNOLOGIES DE TRANSFORMATION DES PEAUX ET DU POIL (4 communications + papier invité)
  Le processus de tannage des peaux et de filature du poil demeure une préoccupation importante de l'industrie de transformation de la fourrure et du poil angora en vue de satisfaire aux besoins et recommandations exigés par le marché (occidental en particulier) et la présence/absence de résidus chimiques (formaldéhyde) dans les produis finis.

Le papier invité sur les procédés innovants de tannage des peaux et transformation textile des poils traduisait ces préoccupations. Ce papier invité comportait 2 parties : l'une présentée par Zhang Zongcai sur le processus de tannage des peaux et l'autre par Zhang Yi sur la filature et transformation des poils. Dans chacune des 2 parties, les orateurs ont fait une présentation/description préalable intéressante des différentes étapes du processus industriel de tannage des peaux et de filature du poil. Ensuite, chacun des 2 orateurs ont présenté les principales préoccupations technologiques de l'industrie du tannage et de la filature.

 

  1.1. Tannage de peaux
  En ce qui concerne le tannage des peaux, l'industrie continue à utiliser largement le chrome, l'alun, le formaldéhyde, le glutaraldéhyde, des huiles et différents produits de synthèses organiques. Ces différents agents de tannage et en particulier le formaldéhyde et le chrome sont responsables d'une forte pollution de l'environnement via le rejet des eaux usées, mais portent atteinte aussi à la santé des consommateurs via la présence de résidus dans la fourrure. D'où des recherches principalement orientées sur des méthodes alternatives à l'utilisation du formaldéhyde et du chrome dans le tannage des peaux et/ou la teinture des fourrures incluant l'usage de différents composés complexes à base d'aluminium et de zirconium, ou de nouveaux solvants et complexes organiques et nouveaux sans formaldéhyde ni chrome, voire l'usage de techniques de sonification ou de biotechnologies (traitement enzymatiques) pour dégraisser et nettoyer les fourrures.

Outre ce rapport de synthèse, 2 autres communications ont présenté des résultats sur des méthodes alternatives utilisant un composé complexe de zircomium-aluminium en alternative au formaldéhyde ou une méthode de teinture à basse température. Une méthode de dosage du formaldéhyde et du glutaraldéhyde résiduel dans les fourrures a par ailleurs fait l'objet d'une communication.

 

 

1.2. Filature et Transformation du poil angora
Le poil de lapin est difficile à transformer en fil 100% angora, en raison de la faible dimension des écailles du poil qui limite l'adhésion des poils entre eux lors de la fabrication du fil. D'où un risque important de perte de poil ou " pilling " à l'usage des produits finis 100% angora confectionnés.
Les recherches sont principalement orientés vers l'utilisation de nouvelles méthodologies de cardage et filature en pur (100% ) poil de lapin en vue de fabriquer des nouveaux produits finis de haute qualité sans défaut de "pilling" à l'usage tout en maintenant les qualités intrinsèques du poil de lapin : finesse, souplesse, légèreté et capacité d'absorption de l'humidité (dont la transpiration) afin de mieux répondre à la demande des consommateurs.
De nouvelles cardes ont été développées. Des méthodes d'enrobage et/ou traitements de surface du poil (émulsion de polymères) sont proposées afin d'améliorer la cohésion des fibres dans le fil et les opérations de teinture par dispersion à l'aide de différents polymères.
Concernant les recherches sur la fabrication de nouveaux produits en angora, une communication a fait état d'une méthode d'enrobage du poil avec des produits anti-bactériens en vue de fabriquer des produits plus hygiéniques.

 

2. GENOMIQUE ET TRANSCRIPTOMIQUE DES GENES MODIFICATEURS DE LA STRUCTURE OU DE LA COULEUR DU PELAGE
(6 communications)
  2.1. Expression des gènes de coloration chez le lapin rex.
Les travaux de recherches sur l'identification et l'expression des gènes de coloration du pelage chez le lapin rex ont fait l'objet de 4 communications.
Les chercheurs chinois réalisent beaucoup de travaux de génétique moléculaire sur l'expression différentielle des gènes au niveau de la peau en vue d'identifier les gènes responsable de la couleur du pelage. Ces méthodes basées sur le séquençage des ARNm et leur quantification mesurée par qRT-PCR exprimés dans la peau permettent d'identifier les ensembles de gènes (plusieurs centaines en général) associés à l'expression d'un patron de couleur. Cela a été fait par analyse comparative entre des rex blancs, des rex chinchilla (2 communications) et chez le castor rex (une communication) en comparant les zones colorées du dos et les zones blanches du ventre.

Une mutation autosomale récessive du gène MLPH (délétion 1bp dans exon 6 du gène) a été identifiée comme responsable du phénotype "dilute" ou dilution de la couleur de la robe chez le lapin dans le cadre d'une collaboration entre l'université de Bologne en Italie et l'INRA (Fontanesi et al 2014). Une communication lors du dernier congrès mondial a permis de valider et confirmer le rôle de cette mutation du gène MLPH en mesurant l'expression de ce gène sur 32 animaux castor ou chinchilla porteur ou non du phénotype "dilut". Le niveau d'expression du gène MLPH est très fortement réduit (5 à 7 fois) chez les animaux porteurs du phénotype "dilute".

 

Exemples de présence du gène "dilute" chez des lapins Castor-rex (a et b) et Chinchilla-rex (c et d)
 

2.2. Expression des gènes contrôlant le développement du pelage chez le lapin.
Une communication a mis en évidence, par analyse histochimique de section de peaux, le rôle de la protéine Wnt-10b et de la béta-catenin dans le développement et le fonctionnement cyclique des follicules pileux de la naissance jusqu'à l'âge de 2 mois chez le lapin. L'expression de la protéine Wnt-10b est exclusivement observée dans le bulbe pileux et dans les gaines internes et externe du follicule pileux à la naissance et aux âges de 6 et 8 semaines lorsque le follicule démarre un nouveau cycle de croissance et exclusivement dans les gaines du follicule pileux à 2 et 4 semaines d'âge lorsque le poil est en croissance. D'où l'hypothèse d'un rôle important de la protéine Wnt-10b dans le cycle du follicule pileux par la voie de signalisation Wnt/béta-caténine.
Commentaire : le rôle de cette voie de signalisation est déjà connu et a été mis en évidence chez la souris.

 

  2.3. Identification des gènes responsables de la longueur des poils chez le lapin angora.
 

Une étude visant à identifier les gènes responsables de la longueur des poils a été conduite dans une population d'animaux issus d'un croisement en retour entre le lapin Angora de souche Wan et un lapin rex (F1 : Angora* rex ; BC1 : croisé F1 * rex et BC2 : croisé BC1 * Rex et BC2).

Cette étude a été conduite à l'aide d'une analyse d'association entre les phénotypes mesurés de la longueur des poils observés dans 2 groupes de lapins croisés à poil court ou long et le séquençage d'une bibliothèque de fragments courts d'ADN couvrant l'ensemble du génome du lapin qui a permis d'identifier 365 662 SNP.

Elle a permis de confirmer le caractère récessif du phénotype angora dans les populations F1, BC1 et BC2 et d'identifier des zones des chromosomes 1, 2 et 15 associés au phénotype angora.

 

Commentaire : L'approche du génotypage par séquençage représente une voie d'investigation intéressante. Mais le dispositif n'a pas permis de confirmer mais seulement suspecter comme probable un résultat antérieur sur l'identification du gène FGF5 comme responsable de la mutation angora chez le lapin (Mulsant et al, 2004). Le dispositif aurait pu également permettre d'identifier / confirmer le gène LIPH responsable de la mutation rex (Diribarne et al, 2012).

 

3. AMELIORATION DE LA PRODUCTION de POILS & FOURRURE (7 communications)
 

La maitrise et l'amélioration de la production de poils et fourrures a fait l'objet de 4 communications chez le lapin rex et 3 communication chez le lapin angora.

 

 

3.1. Effets de supplémentation et additifs alimentaires chez le lapin rex.
Trois communications ont présentés des résultats d'essais de supplémentation dans l'alimentation.

En testant différents taux de supplémentation en cystine (de 0% à 0.8%) dans la ration, une supplémentation en cystine de 0.6% permet d'améliorer différentes caractéristiques (épaisseurs, couleur de la robe, résistance des poils et résistance mécanique des peaux) de la qualité des fourrures. A noter que ni le taux de protéines ni les taux de cystine et de méthionine du régime de base ne sont connus (bien que demandés) ce qui rend bien évidemment délicat l'interprétation des résultats.

Les effets d'une supplémentation en acide pantothénique [vitamine B5] de 0, 10, 20, 40 ou 80 mg/kg pour un taux global mesuré de 6.7, 15.2, 27.3 48.8 et 88.7 mg/kg, ont permis de montrer qu'une supplémentation de 20 à 40 mg/kg (soit une teneur globale de 27.3 à 48.8 mg/kg) permet d'améliorer la croissance des animaux entre 3 et 5 mois d'âge, l'indice de consommation, la surface, le poids et la hauteur de la fourrure des animaux à l'abattage ainsi que différents paramètres de qualité de la viande (rendement carcasse, ph, couleur de la viande, résistance au tranchage).

Les effets d'une supplémentation en mélatonine de 0, 10, 25 ou 40 mg/kg sur les performances de croissance et de qualité des peaux produites à l'âge de 130 ou 150 jours ont été étudiés chez le lapin Rex. L'ajout de mélatonine n'a aucun effet sur la croissance et l'indice de consommation des animaux. Par contre une supplémentation de 25 ou 40mg de mélatonine permet d'obtenir des fourrures plus denses avec des poils plus longs et un cuir plus fin à l'âge de 130 jours comparativement à des animaux témoins (0% de mélatonine) âgés de 150 jours.

 

Commentaire : Le rôle de la mélatonine administrée sous forme d'implants ou par voie orale pour maitriser le cycle des mues et accélérer la production d'une fourrure ou d'un pelage de type hivernal est connu depuis 35 ans. Son administration dans l'aliment est une voie originale, mais probablement coûteuse en quantité de matière car seule la mélatonine consommée dans la second partie de la journée ou en fin de phase claire a un effet. D'autre part la mélatonine étant considérée comme un neuro-peptide hormonal, son usage dans l'alimentation n'est pas recommandé et reste interdit dans le contexte règlementaire européen. Un traitement photopériodique a un effet aussi, voire plus efficace.

 

  3.2. Management de la production de fourrure rex en Mongolie Intérieure
  La variabilité de la qualité de la fourrure (longueur, largeur, surface, densité de fourrure et hauteur des poils) de 4 souches de lapin rex (Venus, Hebei, Color et local) a été étudiée pendant 3 ans en fonction de la saison d'abattage (âge de 5,5 mois) des animaux dans les conditions climatiques difficiles de la région montagneuse de Hulunbeier en Mongolie intérieure.
Les animaux étant élevés en bâtiment, les conditions climatiques difficiles n'ont pas eu d'impact significatif sur la qualité des fourrures produites. Les peaux produites en été et en hiver sont de moins bonne qualité. Il en est de même pour les peaux produites avec la race locale de rex qui sont toujours de moins bonne qualité. La plus mauvaise qualité des peaux produites en été et en hiver par rapport à celles produites au printemps ou en automne est pour le moins surprenate (pas classique).
 

3.3. Le lapin angora
Les caractéristiques de 2 nouvelles souches de lapin angora, l'une à toison laineuse, le Zhexi, l'autre à toison jarreuse, le Wan ont été présentées lors du dernier congrès mondial.

Le lapin angora Zhexi est une nouvelle souche à toison laineuse reconnue en 2010. Elle a été obtenue par croisement des 3 souches de lapins angora chinois (Shengzhou, Zhenhai et Pingyang angora rabbits) qui avait été obtenus suite à des croisements entre des races angora chinoises et des lapins angora de souche allemande importés au cours des années 80. Le lapin Zhexi est un animal de grande taille (5.3 - 5.5 kg) produisant 1.8 - 2.0 kg poil/an (intervalle entre tonte de 70-75 jours). En Chine il existerait environ 3 millions de lapin Angora de souche Zhexi répartis dans 20 Provinces.

Le lapin angora Wan est une nouvelle souche à toison jarreuse reconnue en 2010. Elle a été obtenue par croisement entre un lapin angora de souche allemande et un lapin de chair néo-zélandais sélectionné durant 20 ans sur la jarrosité de la toison. C'est un animal de plus petite taille que le lapin Zhexi, 4.2 kg, produisant 1.5 kg de poil / an (avec un intervalle entre tonte de 61 jours) contenant une proportion de poil jarreux de 16-17%.

 
 

Commentaire : Ces données démontrent que les chinois ont fait un effort particulier de sélection à partir des souches allemandes importées dans les années 80. Ils disposent aujourd'hui de 2 souches très productives à toison laineuse ou jarreuse.

 

  La durée de vie productive et l'intervalle entre tonte, 2 critères de variations importants de la productivité du lapin angora ont été étudiés en vue d'optimiser la production de poil dans un élevage commercial. L'intervalle entre tonte optimum est de 75 jours lorsque les fibres atteignent une longueur de 55mm. La production de poils la plus faible est observée chez le jeune entre la 2ème et la3ème tonte. Elle est maximale entre la 4ème et la 12ème tonte, puis décroit ensuite. La durée de vie productive est de 28 mois. La production de poil et l'indice de consommation poil (35-70) varient selon la saison avec une production de poil plus faible en été.

Commentaire : Ces données collectées dans un élevage commercial, apporte un éclairage intéressant sur la productivité de l'élevage de lapin angora en Chine.

 

4. CONCLUSIONS
 

L'essentiel des communications de la session poils & fourrure, provenait de Chine qui à ce jour est le principal, voire l'unique, producteur mondial de poil angora et de fourrure Rex. Les recherches sur cette thématique sont plus ou moins inexistantes dans les autres pays à l'exception jusqu'à présent de la France.

Les recherches et communications présentées lors de ce congrès mondial concernent principalement le secteur de la transformation des peaux et du poil, sujet d'importance pour la Chine qui est aussi au niveau mondial le principal transformateur de poil angora et de peaux de lapin. L'intégralité de sa production est transformée sur place. Mais selon les variations d'une demande plus ou moins spéculative la Chine peut importer des millions de peaux chaque année en provenance des abattoirs de lapin de chair européen. Ce qui n'est pas sans conséquences sur le marché et la production du lapin de chair en Europe lorsque le prix des peaux achetées en abattoir varie entre 0 et 30-35 % de la valeur du lapin de chair payé à l'éleveur.

Plusieurs communications en génétique moléculaire avec un ensemble de travaux de génomique sur les gènes de coloration ont également été présentées confirmant l'intérêt apporté par les chercheurs chinois à ces nouvelles technologies. Mais peu de communications ont apporté de nouvelles connaissances.

De même dans le domaine de la maitrise de la production, l'absence de nouvelles connaissances ou méthodes de production pourrait s'expliquer par une certaine méconnaissance ou difficultés, pour les chercheurs chinois, d'accès des travaux déjà publiés. D'où leur demande de collaboration à laquelle il nous sera difficile de répondre en l'absence d'un maintien de ce type de recherche en Europe.