19 février 2013 - Journée d'étude ASFC «Sharm El-Sheikh - Ombres & Lumières»

Qualité de la viande et des produits
Les apports lors du 10ème Congrès Mondial de Cuniculture


par


Sylvie COMBES * et Pamela VASTEL **

* INRA Toulouse, UMR 1289 Tandem, BP 52627, 31326 Castanet-Tolosan
** TECHNA, Les Landes de Bauche, BP 10, 44220 Couëron


S. Combes et P. Vastel lors de leur intervention

La session " Qualité de la viande et des produits " a permis la production de 21 communications et 1 synthèse ; soit 10.8 % des communications produites dans le cadre de ce congrès (tableau 1). Cette proportion est comparable à celle observée en 2008 à Vérone.

Années
2000 2004 2008 2012
Nombre de communications 20 19 32 22
% ensemble des communications 8,8 8,2 11,3 10,8
Nombre de pays (1er auteur) 6 8 11 8
Tableau 1 : Nombre de communications sur la viande présentées lors des 4 derniers congrès
(mis à jour à partir de l'analyse de Gigaud et Mousset, Ombres & Lumières 2009)
  Huit pays ont été représentés (figure1) dans cette session et se répartissent comme suit : 73 % des publications sont issus de pays européens, 13.5% de pays africains ; l'Asie et l'Amérique représentent 13.5 % avec deux et une publication respectivement. Comme lors des trois précédents congrès, le tiercé de tête en nombre de communications revient à l'Italie, suivie de l'Espagne et de la Hongrie (Figure 1). La France ne vient qu'en quatrième position à égalité avec la Chine et l'Egypte. Signalons qu'au cours des quatre dernières éditions, la Chine et l'Argentine sont présentes pour la première fois dans la session viande.
Figure 1 : Répartition des communications de la session "Qualité de la viande de lapin et des produits" entre les différents pays (1er auteur) (mise à jour à partir de l'analyse de Gigaud et Mousset, Ombres & Lumière 2009)

Figure 2 : Répartition des communications de 2012
selon les différents thèmes.

Les thèmes : Les performances de croissance et celles d'abattage sont évaluées dans quatre et huit communications respectivement. Les caractéristiques physicochimiques de la viande sont déterminées dans neuf communications. La valeur nutritionnelle et l'aptitude de la viande à limiter les processus oxydatifs sont abordées dans huit et neuf communications respectivement. La transformation de la viande de lapin est traitée dans la synthèse ainsi que dans une communication. La qualité sanitaire et les mesures sensorielles de la viande ne font l'objet que d'une publication chacune.

Notons enfin, qu'une publication de la session analyse les résultats de campagnes promotionnelles sur la production et la consommation de viande de lapin (figure 2).

 

Dans cette présentation nous avons choisi d'articuler notre propos autour de la synthèse M. Petracci et C. Cavani qui se démarque par son originalité. En effet l'équipe italienne a orienté son travail autour des voies possibles de transformation permettant de tirer partie des particularités de cette viande pour obtenir des produits manufacturés à haute valeur ajoutée.

 

I - LA VIANDE LAPIN : DES FAIBLESSES, MAIS AUSSI DES ATOUTS
 

S'il n'existe pas de réelle limite technique à la transformation de la viande de lapin et à l'incorporation de celle-ci dans des produits élaborés, son coût de production élevé, la fragmentation de la chaine de production, les difficultés de mécanisation du désossage et enfin l'image du lapin comme animal de compagnie constituent un frein à la consommation qui ne pousse pas au développement de produits transformés (tableau 2)

 
Forces Faiblesses
Profil nutritionnel Coût de production élevée
Image santé positive Fragmentation de la chaine de production
Tradition culinaire des pays méditerranéens Désossage mécanique difficile
Image associée à un animal de compagnie

Tableau 2: Principaux atouts et faiblesses de la viande de lapin pour sa transformation en produit manufacturé (Petracci & Cavani)

  A l'inverse, l'image santé que véhicule cette viande, le caractère traditionnel associé à la cuisine méditerranéenne et son profil nutritionnel (ratio protéines / lipides élevé, teneur en cholestérol et en fer héminique faible, ratio entre la teneur en acide gras polyinsaturé n-6/n-3 faible) sont les atouts majeurs de la viande de lapin (tableau 2).
  Concernant le profil nutritionnel responsable de l'image santé, la composition en acides gras de la viande de lapin est particulièrement plastique à différents facteurs d'élevage. Ceux illustrés dans ce congrès concernent la densité d'élevage (Volek et al), une alimentation granulée associée à de la luzerne en vert ad libitum (Dal Bosco et al.), la supplémentation en tanin hydrolysable issu de châtaigne (Dalle Zotte, Matics, et al.), l'addition combinée de lin (3%), de vitamine E (240 mg/kg) et de Selenium (0.46 mg/kg), (Matics, et al.), et enfin la supplémentation en spiruline et thym (Dal Bosco et al.). Ce profil est également lié à la quantité de tissu adipeux (Zomeño & Hernández).
Figure 3 : Proportions d'acides polyinsaturés (PUFA) en fonction des proportions acides gras saturés (SFA) et monoinsaturés (MUFA).
Ratio omega (n-6/n-3).
Les données sont extraites de 5 communication
s
 

Parmi les facteurs étudiés seuls ceux d'ordre alimentaire influent de manière importante le profil en acides gras. Selon les études, la modification de la teneur en acides gras polyinsaturés oscille entre 26% et 35 % de la teneur en acides gras totale. Cette variation se fait essentiellement au détriment des acides gras monoinsaturés. Le rapport n-6/n-3 fluctue généralement entre 6 à 2 avec toutefois un extrême à 14 (figure 3)

 

II - L'UTILISATION D'ADDITIFS POUR LA QUALITE ORGANOLEPTIQUE
      ET LA CONSERVATION DE LA VIANDE
  L'utilisation d'additifs alimentaires est envisagée dans l'optique d'une amélioration du gout, de la texture, de la couleur ou de la durée de conservation de la viande. Ces additifs peuvent être utilisés in vivo en alimentation animale ou post mortem en traitement de la viande.

La faible teneur en lipides de la viande de lapin induit l'incorporation de gras provenant d'autre type de viande pour la production de produit à pate fine (saucisses, nuggets…). Petracci et Cavani soulignent qu'une telle pratique pourrait cependant entacher l'image santé du produit et proposent comme solution d'utiliser des lipides d'origine végétale ou des systèmes " hydrocolloides " (alginate, carraghenane, amidon, pectine etc..). Une autre alternative est d'agir in vivo directement sur la teneur en lipides du muscle de lapin. En effet Zomeño & Hernández, confirment que la quantité de lipides intramusculaires étant indépendante de la quantité de lipides présente dans les dépôts externes, un enrichissement de la viande en lipides sans affecter les dépôts externes peut être envisagé.

L'oxydation des lipides est un des problèmes majeurs à la conservation de la viande fraiche, congelée, fermentée ou précuite.

Pourquoi limiter l'oxydation ?
 

L'oxydation concerne les acides gras polyinsaturés et relève d'une réaction en chaîne qui

  1. conduit à la perte quantitative d'acide gras oméga 3 diminuant ainsi la valeur nutritionnelle du produit,
  2. aboutit à la formation de composés volatils qui ont un impact direct sur l'arôme des aliments,
  3. engendre la production de molécules ayant un effet potentiellement toxique (produits primaires de l'oxydation des lipides, radicaux libres et hydroperoxydes et certains produits secondaires de l'oxydation) (Genot, et al., 2004).

Enfin les composés volatils issus de l'oxydation des acides gras de la série n-3 dont la présence est recherchée pour des raisons nutritionnelles, ont tendance à avoir des seuils de perception olfactive plus faibles que ceux issus de l'oxydation des acides gras de la série n-6, ce qui confère à ces composés volatils un impact aromatique plus fort que ceux issus de l'oxydation des acides gras de la série n-6.

Comment limiter l'oxydation ?
  Le lapin possède un équipement enzymatique pour remédier au phénomène d'oxydation in vivo: enzyme GSH-Px, SOD et CAT (Abdel-Khalek, et al., Weissman, et al.). La vitamine E (principalement alpha-tocopherol) est naturellement présente dans la viande et constitue un agent protecteur présent. Il n'existe aucune relation entre les activités des enzymes endogènes et la teneur en vitamine E de la viande (Abdel-Khalek, et al.).
Pour renforcer la protection contre l'oxydation des lipides de la viande, la vitamine E est apportée dans l'alimentation du lapin. L'addition de vitamine E dans l'alimentation a fait l'objet de 6 communications pour lesquels les taux d'incorporation variaient de 5 à 640 ppm (Abdel-Khalek, et al., Cardinali, et al., Matics, et al., Szendrö, et al., Weissman, et al., Zhang, et al.). Elles confirment son effet antioxydant (Abdel-Khalek, et al., Cardinali, et al., Weissman, et al., Zhang, et al.) dès 35 à 40 ppm (Abdel-Khalek, et al., Weissman, et al). La protection contre l'oxydation augmente avec la supplémentation en vitamine E (Abdel-Khalek, et al., Weissman, et al) (figure 4).
 
Figure 4 : Effet de la quantité de vitamine E incorporée dans l'aliment sur le taux d'oxydation des lipides (courbe bleue) et la quantité de vitamine E présente dans la viande (courbe rouge) d'après la communication de Zangh et al.
  De même, l'incorporation de sélénium dans l'aliment à 0,15 et 0,3 mg/kg (Ebeid, et al.) ou 0,46 mg/kg (Matics, et al.) par une supplémentation en levure contenant de la sélénométhionine stabilise le statut oxydatif (Ebeid, et al.), augmente la teneur en sélénium de la viande (x 5 Ebeid, et al., x 2 Matics, et al.) et améliore les performances de croissance (+6 % du poids vif, -0,3 points d'indice de consommation ; Ebeid, et al.).

 

 

 

Petracci et Cavani soulignent l'intérêt actuellement porté sur l'utilisation de substances antioxydantes d'origine naturelle dans l'industrie agroalimentaire ou dans l'alimentation animale (romarin, origan, thym, sauge, tannins). Cet intérêt est également illustré dans 6 communications. L'incorporation de tanins hydrolysables de châtaigne reste sans effet sur la stabilité oxydative de la viande (Dalle Zotte, Matics, et al.). Une étude portée par 3 communications dans la session viande concerne l'incorporation de thym et de spiruline (Dal Bosco (a), et al., Dal Bosco (b), et al., Dalle Zotte, Sartori, et al.). Elle montre un effet antioxydant du thym tandis que la spiruline reste sans effet (Dal Bosco (b), et al.). Par ailleurs, le thym aurait également un effet sur la coloration jaune de la viande. L'apport d'origan et de romarin diminue les pertes d'eau à la cuisson, l'origan améliore la capacité de rétention en eau de la viande crue, mais ne diminue pas les processus oxydatifs dans cette étude (Cardinali, et al.). Enfin, les effets d'un apport à volonté de luzerne fraiche, en complément d'un aliment granulé, montre, à l'inverse, une réduction de la vitamine E (- 25% alpha tocopherol) mais une augmentation de 60% de la teneur en retinol (Dal Bosco (c), et al.).

III - DES PROCESSUS DE TRANSFORMATION ADAPTÉS AUX CARACTÉRISTIQUES DE LA VIANDE DE LAPIN

Les auteurs rappellent que le peu d'effort consacré à la transformation de la viande de lapin depuis le début de sa consommation est une conséquence de la taille réduite du lapin. En effet le lapin étant abattu pour être consommé immédiatement, la quantité de viande produite est suffisante au repas et ne nécessite pas de développer des techniques de conservation (salaison, séchage, saucisse etc…).

Dans le cadre de ce congrès, seule une présentation (Cossu, et al.) a porté sur les technologies de conservation des hamburgers (éclairage, sous vide vs atmosphère modifiée ou non). Selon Petracci et Cavani, la viande de lapin désossée mécaniquement répond aux exigences de teneurs en calcium, protéines et lipides pour la fabrication de produits à pâte fine type saucisse ou nuggets. Elle contiendrait cependant trop de fragments osseux comparativement aux viandes de porc, de bœuf et de volaille, ce qui limite son utilisation. Le hachage grossier de la viande de lapin permet quant à lui la production de produits type pâté ou hamburger, et valorise les femelles de réforme. Enfin, la marinade et l'enrobage (allant de l'assaisonnement au panage, jusqu'à l'utilisation de sauces complexes) sont des processus particulièrement adaptés à la viande de lapin, souvent qualifiée de viande sèche et fibreuse. La marinade permet d'obtenir un produit plus tendre, avec plus de goût, moins de perte à la cuisson et plus juteux. L'enrobage de la viande permet d'ajouter une flaveur et de protéger le produit de la perte en eau, préservant ainsi sa jutosité pendant la cuisson et améliorant son apparence. Pour l'instant les techniques associées à l'enrobage, qui permettent également de simuler l'aspect frit sans ajout de lipides ne sont que peu utilisées dans la viande de lapin. Pourtant, Petracci et Cavani soulignent que les jeunes consommateurs étant très friands de ce type de produit, l'enrobage pourrait constituer une bonne opportunité pour développer la consommation.

IV - COMMUNIQUER SUR LE LAPIN : PRODUIRE ENCORE MIEUX ET LE DIRE
  Quoi qu'il en soit, le frein au développement des produits transformés issus du lapin reste la viabilité économique au regard du coût de la matière première. L'amélioration de la productivité et de la durabilité de la production de lapin a été étudiée dans une communication.
Les auteurs comparent trois systèmes de production (Guardia, et al.) : le système intensif, semi intensif et extensif sans chevauchement de la lactation et de la gestation (tableau 3). Dans cette étude, les trois systèmes conduisent à la production de lapin de poids et d'âge différents qui expliquent les différences observées en termes de rendement et d'adiposité. Le système de production a cependant peu d'effet sur la couleur et le pHu de la viande.
 
Tableau 3: Spécificités des trois systèmes de production (Guarda et al.)


 

L'amélioration de la durabilité de l'élevage est un support de communication qu'il convient de valoriser de même que les travaux menés pour améliorer la valeur nutritionnelle de la viande de lapin qui véhicule l'image santé positive.
Dans ce cadre, l'impact de deux campagnes promotionnelles sur la consommation de la viande de lapins a été présenté (González-Redondo & Rodríguez-Serrano). Les deux campagnes, l'une pour promouvoir l'aspect santé de la viande en direction notamment des milieux médicaux et para-medicaux et l'autre en direction d'un public de consommateur plus large ont réussi à enrayer le déclin de la production et ralenti la baisse de la consommation de viande de lapin en Espagne. Par ailleurs, l'absence de stratégie de marketing autour de nouveaux produits qui répondent aux demandes de santé et de commodité d'emploi des consommateurs risque de compromettre le développement futur de la production de lapins à l'échelle industrielle.

 

V - EN BREF D'AUTRES RESULTATS…
  Comme déjà démontré, les caractéristiques rhéologiques (mesure mécanique de la texture) ne permettent pas de prédire les résultats d'analyses sensorielles (Martínez, et al.). De même, le pHu et la couleur de la carcasse ne permettent pas de prédire la capacité de rétention en eau ni la composition chimique de la viande ni la texture (Pascual & Blasco).

La distribution et l'élimination de résidus de griséofulvine, un médicament antifongique administré par voie orale pour le traitement des infections fongiques de la peau, ont été évaluées. L'équipe montre une absence de détection du produit dans le muscle au-delà de 14 jours. A l'inverse il est encore détecté 21 jours après arrêt du traitement dans le rein et le foie (Gao, et al.). Cette molécule n'ayant pas fait l'objet d'une étude de résidus dans notre pays, elle est interdite en France pour les productions animales.
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La diminution de la densité d'élevage (10 vs 4 lapins / m²) augmente la proportion de fibres musculaires rouges (Volek & Chodová). Ces résultats pourraient être la conséquence d'une augmentation de l'exercice physique permis aux lapins, à l'instar de ce qui a été démontré par Gondret et al. (2009).

L'incorporation de son de blé dur (40 à 60 %) dans une formule simplifiée à base de maïs et de luzerne dans un contexte d'élevage en Algérie n'affecte pas globalement les caractéristiques de la carcasse (Lounaouci-Ouyed, et al.).

L'incorporation combinée de lin (3%), de vitamine E (240 mg/kg) et de Selenium (0,46 mg/kg), de 1 à 4 semaines précédent l'abattage, a peu ou pas d'effet sur les performances de croissance, la santé et les performances d'abattage (Szendrö, et al.).

CONCLUSION
  Les communications consacrées à la qualité de la viande et des produits, ont conforté un certain nombre d'acquis mais une synthèse originale a contribué à envisager le développement de la consommation de la viande de lapin sous un angle nouveau, incluant à la fois l'amont de la filière (recherche de solutions pour produire un lapin de qualité) et l'aval de la filière avec la mise en lumière des technologies de transformation existantes pour le développement de nouveaux produits.
  S'il fallait ne retenir qu'un point ou deux :
  • L'étude de composés d'origine naturelle (thym, spiruline, romarin, origan) ou brute (luzerne en vert) dans l'optique de bénéficier de composants " bioactifs " a le vent en poupe, il s'agit d'améliorer l'image, de réduire les couts (luzerne en vert), mais également d'améliorer l'aptitude à la conservation. Par contre, aucune de ces études ne permettent de dégager une matière première plus prometteuse que les autres.
  • Les nombreuses communications sur l'influence de la vitamine E permettent de conforter les acquis mais également d'avancer dans la connaissance des doses efficaces. Notons toutefois un problème d'homogénéité dans la présentation des résultats qui ne permet pas par exemple de comparer les taux d'oxydations des viandes entre les différents essais.
  Cette analyse, où nous avons tenté d'intégrer l'amont, et l'aval de la chaine de production jusqu'à la transformation, montre qu'il est nécessaire d'avoir une vision globale de la qualité de la viande et des produits. En effet, il convient d'être à l'écoute des demandes des consommateurs afin que l'ensemble de la filière puisse concourir à répondre au plus près à cette demande. Il s'agit donc de produire un lapin de qualitéS (sanitaire, nutritionnelle) à moindre coût (système de production plus économe et plus durable), d'adapter sa transformation (création de nouveaux produits plus attractifs) et sa commercialisation (communications) aux attentes d'aujourd'hui (santé, bien-être et commodité, rapidité de mise en oeuvre).