19 février 2013 - Journée d'étude ASFC «Sharm El-Sheikh - Ombres & Lumières»

Génétique :
Les apports lors du 10ème Congrès Mondial de Cuniculture


par


Hervé GARREAU* et Fabien COISNE**

* INRA, SAGA, Centre de recherches de Toulouse 31326 Castanet-Tolosan Cedex
** SARL HYCOLE, Route de Villers-Plouich, 59159 Marcoing

 


F. Coisne et H. Garreau lors de leur intervention

Quarante et une communications (un rapport de synthèse et 40 communications courtes) ont été présentées lors de la session " Génétique", soit presque autant qu'au précédent congrès mondial. L'Espagne est de loin la mieux représentée avec 11 communications contre 7 pour la France, 5 pour l'Egypte la Chine et le Nigeria.

L'ensemble de ces contributions peut s'articuler autour de 3 volets :
   1- variabilité génétique et sélection des caractères,
   2- génétique moléculaire,
   3- caractérisation de populations locales.
Une des communications portait également sur la création d'un réseau européen de recherches sur le lapin Européen (COST ACTION TD1101).

I - VARIABILITÉ GÉNÉTIQUE ET SÉLECTION DES CARACTÈRES (17 communications)

 

Les méthodes classiques de la génétique quantitative (modèle polygénique et estimation des effets génétiques basés sur la régression des performances et l'information généalogique) restent les outils privilégiés des généticiens lapins. Avec 17 communications, ce domaine d'étude est le plus représenté de la session.

I.1 Rapport de synthèsePiles et Baselga ont présenté un rapport de synthèse sur l'amélioration des performances reproductives des mâles et de la production de semence pour l'insémination artificielle. Le nombre total de spermatozoïdes (spz) ainsi que le taux de spz motiles semblent être les 2 caractères les plus intéressants à sélectionner. Cependant les corrélations génétiques entre le volume de l'éjaculat et la concentration en spz n'ont pas encore été estimées avec précision. Les tentatives pour prédire la fertilité mâle à partir des caractéristiques séminales se sont révélées très insatisfaisantes. Certains caractères phénotypiquement corrélés avec la fertilité mâle pourraient être utilisés en sélection mais seul le pH a fait l'objet d'une réelle étude de corrélations génétiques. L'estimation de la contribution du mâle à la fertilité du couple donne toutefois des valeurs très faibles, qui peuvent être considérées comme négligeable. Le GMQ, principal critère de sélection des lignées mâles, semble génétiquement indépendant des caractéristiques de la semence et de la fertilité mâle. Des effets d'hétérosis pour les caractéristiques de la semence ont été mis en évidence dans des lignées maternelles mais ces effets n'ont pas été confirmés dans les lignées paternelles.
Commentaire : Les effets d'hétérosis des caractères de semence (volume, concentration…) dans les lignées mâles commerciales françaises sont pourtant bien connus même s'ils n'ont fait l'objet d'aucune publication.
I.2. Sélection pour l'homogénéité des performances
Cette méthode, déjà présentée au dernier congrès mondial, a fait l'objet de 2 communications. Elle suppose que les caractères sont contrôlés par deux groupes de gènes, un groupe contrôlant la moyenne du caractère (ex : poids des lapereaux à la naissance) et l'autre sa variabilité (ex : variabilité de ces poids intra-portée) et elle estime pour chaque individu deux valeurs génétiques distinctes. C'est en sélectionnant les animaux sur la valeur génétique pour la variabilité du caractère qu'il est possible d'homogénéiser un caractère. Argente et al. ont décrit les nouveaux résultats d'une expérience de sélection divergente pour la variabilité de la taille de portée obtenus après 5 générations de sélection : La différence entre les 2 lignées est très significative. Par ailleurs, la lignée à faible variabilité de taille de portée est plus prolifique illustrant une corrélation négative et favorable entre la moyenne de la taille de portée et sa variabilité.

Pour étudier l'influence de cette sélection sur le bien-être et la santé des lapines, les mêmes auteurs ont mesurés le taux de cortisol et le taux de certaines protéines impliquées dans la réponse inflammatoire : protéine C réactive (CRP), haptoglobin (HP) et amyloid A (SAA). La plus forte concentration en CRP et SAA chez les femelles à haute variabilité de taille de portée suggère une plus grande sensibilité de ces femelles aux agents pathogènes.
Commentaire : Il est toutefois rappelé qu'une sélection sur la taille de portée doit se traduire par une réponse favorable sur l'homogénéité de la taille de portée en raison d'une corrélation génétique forte et favorable. Le critère " homogénéité de la taille de portée " ne semble donc pas prioritaire dans la mesure où la sélection sur la taille de portée ne peut qu'améliorer son homogénéité.

 

I.3. Résistance aux maladies
Garreau et al. ont décrit les résultats d'une expérience de sélection divergente pour la résistance aux troubles digestifs chez des animaux de type Hypharm PS40. Les animaux des 2 lignées (résistante et sensible) ont été inoculés avec la souche LY265 E. Coli 0-103. Il n'y avait pas de différence de mortalité ou de morbidité entre les 2 lignées en considérant l'ensemble des animaux inoculés mais une différence significative de mortalité a été démontrée entre la moitié supérieure des résistants et la moitié inférieure des sensibles.

Commentaire : Ces résultats illustrent l'intérêt d'une sélection basée sur l'enregistrement d'états sanitaires en routine chez un sélectionneur.

Mortalité cumulé des lapins en croissance 11, 12 et 13 jours après inoculation avec une souche pathogène d’E.coli pathogène
1.4. Efficacité alimentaireDeux critères d'efficacité alimentaire ont été étudiés par Drouilhet et al. dans une expérience menée par l'INRA de Toulouse: la consommation résiduelle en régime ad libitum et le GMQ en régime rationné (80 %). Les héritabilités estimées sont respectivement égales à 0,15 et 0,25. Les corrélations avec les autres caractères (poids et indice de consommation) sont également présentées dans cet article. Ces 2 critères correspondent à 2 stratégies de sélection : la première consiste à réduire la quantité d'aliment consommé à poids et croissance constants, et la seconde consiste à augmenter la croissance à quantité d'aliment constante.
1.5. Caractères de reproductionUne expérience de sélection divergente pour la réceptivité sexuelle a été conduite par Theau et al. La réceptivité sexuelle a été mesuré 18 fois à raison de 3 fois par semaine. L'héritabilité de la performance élémentaire (0=non réceptive ; 1=réceptive) allait de 0,01 à 0,02 selon le modèle d'analyse. L'héritabilité de la réceptivité moyenne allait de 0,05 à 0,08 selon le modèle. En raison de la faible héritabilité il n'y a pas eu de différence significative entre les lignées divergentes après une génération de sélection. Cependant, la baisse de fertilité constatée à l'issue de la série de tests successifs, suggère que ces tests ont pu engendrer des pseudogestations. En conséquence, il y aurait confusion entre l'expression de la réceptivité sexuelle et la sensibilité à la pseudogestation.

Piles et al. ont estimé la contribution du mâle pour le nombre d'embryon implantés et la survie embryonnaire dans une population sélectionnée pour le taux d'ovulation mesuré par laparoscopie. L'héritabilité de la composante mâle était du même ordre de grandeur que la composante femelle : 0,05 et 0,07 respectivement pour le nombre d'embryon implantés et le taux de survie embryonnaire.

Une sélection sur le taux d'ovulation réalisée pendant 6 générations a effectivement permis d'accroître le nombre d'ovules pondus (+1,4) , mais elle ne s'est pas traduite par une augmentation de la taille de portée à la naissance en raison d'une baisse de la survie embryonnaire (Ziadi et al.).

Le critère taille de portée a ensuite été ajouté au critère taux d'ovulation dans la lignée OR_LS. Après 7 générations de sélection, le gain génétique a été de +1 ovule et +0,9 lapereau par portée à la naissance. La qualité des oocytes a été étudiée par la mesure de la concentration en glutathion (GSH) et en ATP (Laborda et al.). La concentration en GSH de la lignée OR_LS était supérieure à celle de la lignée témoin. Par ailleurs, la concentration en glutathion était plus faible chez les femelles à fort taux d'ovulation que chez les femelles à faible taux d'ovulation. Il semble donc que les forts taux d'ovulation soient associés à une moindre qualité des oocytes.

 

1.6. Poids naissance et sevrageLenoir et al . ont analysé la variabilité génétique de différents critères pondéraux du poids à la naissance : Les héritabilités estimées pour le poids moyen à la naissance, le poids total de la portée, le poids individuel minimal intra-portée, le poids individuel maximal intra-portée et le nombre de nés totaux étaient respectivement de 0,15 - 0,13 - 0,07 - 0,12 - 0,11 et 0,10. Le poids individuel minimal intra-portée était corrélé favorablement avec tous les autres caractères. Ce critère a été ajouté à l'objectif de sélection de la lignée D Hycole afin d'augmenter le poids du lapereau le plus léger de la portée et de diminuer la variabilité des poids individuel des lapereaux à la naissance. Le progrès génétique estimé pour ce critère entre 2010 et 2011 a été de +0,9 g.

Loussouarn et al. ont étudié l'amélioration du poids au sevrage dans la lignée Hyla D à l'aide d'un modèle avec effets génétiques directs et maternel. L'héritabilité des effets directs était de 0,20 et celle des effets maternels était de 0,06. Entre 2007 et 2011 le progrès génétique a été de 115 grammes pour les effets directs et de 53 grammes pour les effets maternels. La sélection des effets maternels a pour but d'améliorer les aptitudes de la mère pour la croissance de ses lapereaux.

 

1.7. Croissance et carcasseUne expérience originale de sélection divergente pour le taux de gras intramusculaire a été initiée par l'équipe espagnole de l'Université polytechnique de Valence. L'objectif de cette expérience est d'étudier la possibilité d'une augmentation du taux de gras intramusculaire pour améliorer les qualités organoleptiques de la viande et de vérifier les conséquences de cette sélection sur les caractères de croissance, de carcasse et de qualité de viande. Après 2 générations de sélection la réponse directe était de 0,11g/100g soit +9,8% de la moyenne du caractère. Les auteurs mettent en évidence une réponse corrélée négative pour le poids vif, le rendement de carcasse et le poids des tissus adipeux qui étaient plus élevés dans la lignée basse. Il n'y a pas de différences entre les lignées pour les caractères de qualité de viande et de carcasse : couleur, pH, et rendement muscle sur os.
Gyovai et al. ont à nouveau présenté les paramètres génétiques du GMQ et de l'épaisseur de cuisse mesurée par rayon X (tomographie) dans la lignée terminal mâle Pannon. L'héritabilité du GMQ et de l'épaisseur de cuisse était respectivement de 0,23 et 0,25. Les 2 caractères sont génétiquement indépendants.
Commentaire : La sélection assistée par tomographe est originale et innovante. En contribuant à l'amélioration du rendement, elle présente un intérêt pour la filière cunicole française.
Ogah et al. ont utilisé la méthode des corrélations canoniques pour étudier le lien entre caractères morphologiques et caractères de carcasse. Le poids individuel, la longueur du corps, la circonférence de la poitrine et la longueur des oreilles ont été choisis comme critères prédicteurs du rendement, du poids de carcasse chaude et froide. Les critères poids individuel et longueur de corps sont bien corrélés avec le poids de carcasse chaude et froide mais pas avec le rendement de carcasse. Ces résultats confirment l'absence de critère mesurable in vivo, hormis la sélection assistée par tomographe, pour prédire le rendement de carcasse.
Egena et al. ont étudié la possibilité de prédire le poids individuel à partir de mesures morphologiques.
Commentaire : La pesée me semble cependant plus simple à réaliser pour obtenir directement la valeur du poids.
II. GÉNÉTIQUE MOLÉCULAIRE (5 communications)

Les travaux utilisant les outils moléculaires progressent mais ils sont encore loin de donner lieu à des applications finalisées. 5 communications de génétique moléculaire, exclusivement chinoises ont été présentées dans cette session.

 

II.1. Caractères de production

Un polymorphisme de type SNP a été mis en évidence par Zhang Wen-Xiu et al dans le gène du récepteur de l'hormone de croissance (substitution d'un nucléotide à base de Guanine par un nucléotide à base de Cytosine dans l'exon 3).
266 animaux de 3 races utilisées pour la production de viande en Chine ont été génotypés pour ce SNP (SNP = Single Nucleotide Polymorphism). Le poids à 84 jours, le poids de carcasse, le pH du longissimus dorsi étaient significativement plus élevé chez les animaux de type CC que chez les animaux de type GC. Si ce résultat est confirmé dans d'autres races ou lignées, cette méthode peut intéresser les sélectionneurs pour améliorer les caractères de carcasse.

II.2. Gènes des récepteurs de l'immunité innée TLR

11 SNP ont été identifiés par Zhang X.Y. et al. dans les régions codantes du TLR2 par l'étude du génome de 15 lapins appartenant à 5 races différentes. Le gène TLR2 est connu pour coder pour l'aptitude à la reconnaissance des bactéries pathogènes comme celles de la pneumonie. Malheureusement, l'article ne présente aucune étude d'association entre la résistance aux maladies et les différents allèles.

 

II.3. Gènes de la toison

Les autres travaux de génétiques moléculaires ont décrit l'expression de gènes de la toison et présentent peu d'intérêt pour la filière de lapin de chair française.

 

III. CARACTÉRISATION DE POPULATIONS LOCALES
 

Le congrès mondial de cuniculture est traditionnellement une occasion privilégiée pour décrire des races, des génotypes ou des populations locales, en particulier pour les pays du Sud. Ces résultats, précieux pour les filières locales concernées, apportent un intérêt limité pour les éleveurs français. Ils ne seront donc que brièvement évoqués.
Les populations locales d'Espagne, de Tunisie, d'Inde, d'Egypte, d'Algérie, de Hongrie, de Pologne de République Tchéque et du Nigéria ont été décrites. Des expériences de croisement entre lignées espagnoles sont décrites par Ragab et al.

 

IV. RÉSEAU DE RECHERCHE EUROPÉEN
 L'INRA et l'Université de Bologne coordonnent depuis janvier 2012 un projet européen Cost portant sur la génomique du lapin. Le projet a pour but d'améliorer les connaissances et les outils génomiques pour trois grands domaines de recherche sur cet animal:
- les applications agronomiques (viande, fourrure),
- les applications en biomédecine (bioréacteur et espèce modèle),
- l'écologie et l'étude des populations sauvages.
Ce projet doit consolider la création d'outils génomique ouvrant la voie à de nouvelles applications pour la génétique du lapin : sélection assistée par marqueurs et sélection génomique.
 

 

CONCLUSIONS
 

Les objectifs de sélection comportent toujours les critères classiques de prolificité pour les caractères maternels et de croissance pour les caractères paternels mais les travaux de recherche se concentrent désormais sur de nouveaux caractères pour améliorer les aptitudes maternelles, la qualité des produits ou la santé des animaux.

Les nouveaux caractères maternels sont l'aptitude des femelles à la gestation (survie embryonnaire, homogénéité des poids de naissance et de la taille de la portée), à la lactation (poids individuel au sevrage, quantité de lait produite), la longévité et la santé des femelles.

De nouveaux outils sont utilisés pour analyser finement ces caractères (cryoconservation d'embryons et de semence, TOBEC). Les nouveaux caractères paternels concernent la santé digestive, l'efficacité alimentaire et la qualité des carcasses, notamment par l'utilisation de techniques innovantes (Tomographie).

L'effet d'un gène majeur sur le poids et la qualité de la carcasse a été mis en évidence dans des populations chinoises mais il faudrait évaluer cet effet dans nos lignées avant d'utiliser cette information pour la sélection de nos lignées.