5 février 2009 - Journée d'étude ASFC « Vérone - Ombres & Lumières »


Journée ASFC «Vérone 2008 - Ombres et Lumières»
Techniques d'élevage et Économie "

par

Michel COLIN* et François TUDELA**

*COPRI, Coat Izella, 29830 Ploudalmézeau.
**INRA, Station expérimentale lapins, BP 52627, 31326 Castanet-Tolosan Cedex

 

INTRODUCTION

 


F. Tudela et M. Colin lors de leur présentation

 

Traditionnellement, dans les différents congrès internationaux de Cuniculture, la partie " Techniques d'élevage et économie " apparait comme une sorte d'Auberge espagnole où l'on " agglomère " des publications sur des sujets très divers et parfois sans aucun lien commun. Cette diversité se retrouve également dans l'origine géographique des publications, les états nouveaux venus publiant généralement dans ce secteur. Ces caractéristiques n'ont pas fait défaut au niveau des publications présentées à Vérone en Juin 2008.
La partie dénommée " Techniques d'élevage et économie " comprenait ainsi 29 communications provenant de 12 pays (Figure 1). Une première remarque s'impose: le temps où la quasi-totalité des communications sur les méthodes d'élevage était le fait d'un petit nombre de pays européen est bien révolu puisque 2 pays émergents (Nigéria et Mexique) regroupent à eux-seuls 12 des 29 communications et que les 3 seuls pays européens présents dans cette partie (Italie, Hongrie, Pologne) n'ont présenté que 7 communications, les autres étant le fait d'équipes sud-américaines (3), Nord africaines (4) ou asiatiques (3). Ainsi, à l'heure où l'on constate une réduction ou une réorientation de plusieurs des équipes scientifiques européennes ayant accompagné l'essor de notre cuniculture industrielle, voit on se développer de nouvelles équipes dynamiques orientées évidemment vers des problématiques un peu différentes des nôtres mais qui maintiennent une dynamique de travail dans la connaissance de notre espèce favorite.

 

Figure 1
   

Une publication du Professeur nigérian Oseni de l'université Obafemi Awolowo était d'ailleurs spécifiquement consacrée à l'émergence de la recherche cunicole en Afrique sub-saharienne d'où proviennent 101 publications entre 1990 et 2007. Il souligne notamment le dynamisme de cette recherche mais aussi certains de ses points faibles comme une prise en compte insuffisante des réalités cunicoles locales (essentiellement vivrière) et de ce fait une faible application immédiate des connaissances ainsi acquises.
Compte tenu de leur provenance géographique, un cinquième des publications présentées dans cette partie rapportent des exemples de développement de cunicultures purement vivrières destinées à améliorer l'alimentation protéique de populations très défavorisées (Figure 2). Il faut rapprocher 5 publications qui sont en fait plus des communications de génétiques et concernent l'utilisation de races locales ou l'adaptation de races importées dans le cadre de ces plans de développement de cunicultures vivriéres.

 

Figure2
   

Les recherches traditionnelles sur les techniques d'élevage (Rythme de reproduction, taille des cages….) ne représentaient que 5 communication mais il faut signaler que le thème des techniques d'élevage est aujourd'hui largement " cannibalisé " par des recherches qualifiées de recherche sur l'éthologie et le Bien être et dont une très grande partie traite également de techniques d'élevage. Il reste cependant vrai qu'au moins en Europe, l'augmentation de la productivité par l'amélioration des techniques d'élevage n'est plus une priorité comme dans le passé; les objectifs se sont désormais déplacés vers des préoccupations de bien - être pour les animaux. Enfin, 4 communications traitaient d'aspects économiques concernant la cuniculture commerciales (Hongrie, Chine, Mexique) et 3 de la commercialisation et de la consommation de la viande de lapin (Hongrie, Algérie).

 

LES CUNICULTURES VIVRIÉRES
   

Les publications consacrées aux cunicultures vivriéres (Nigéria, Mexique, Tunisie, Cambodge, Indonésie) constituent une sorte d'état des lieux de la situation cunicole de ces pays. Elles confirment, avec des données chiffrées fiables, une thèse défendue dés les années 90 par le Professeur Finzi : même si elle passe inaperçue en raison de sa petite taille et de sa discrétion, la cuniculture est présente dans de nombreux pays émergents. Le fait nouveau est sa prise en considération par les autorités. Plusieurs travaux nigérians rapportent en outre un grand nombre de données sur les critères techniques de production de Lapin en région tropicale, en particulier l'influence des saisons (meilleure production durant la saison des pluies). Enfin bien que les conditions de production de ces cunicultures sont très éloignées des nôtres, ces publications contiennent quelques indications sur des matières premières peu connues dans nos pays mais pouvant constituer un jour de nouvelles opportunités dans un cadre de commerce international accru.
Enfin remarque un peu surprenante pour nous: en Asie du Sud-est par exemple, la valorisation des déjections de Lapin fait l'objet d'autant d'attention que la production de viande elle-même. On est bien loin de nos contraintes de plan d'épandage

 

LA GÉNÉTIQUE  
   

Cinq publications traitaient de l'utilisation de races locales; elles auraient parfaitement pu figurer dans la partie génétique. En premier lieu, l'équipe de Bielanski en Pologne compare les performances de la race locale le «Popielno» à une population de Néo-Zélandais. Les résultats techniques obtenus avec le Popielno sont inférieurs à ceux des Néo-Zélandais tandis que les qualités organoleptiques de la viande sont identiques. L'intérêt de tels travaux reste souvent essentiellement descriptif, permettant de connaître les caractéristiques de populations amenées à voir leurs effectifs se réduire.
Un travail mexicain (Suarez -Lopez et al.) aboutit d'ailleurs à des conclusions identiques en montrant une supériorité des Néo-Zélandais par rapport aux Californiens ou aux Chinchilas ainsi qu'à leur croisement. Une publication égyptienne a présenté les résultats de 3 schémas génétiques sélectionnés en Egypte et un en Arabie Saoudite à partir de races locales (Baladi) et de reproducteurs importés de l'Université de Valence en Espagne. Les produits ainsi obtenus semblent bien adaptés aux conditions locales.
Enfin, une publication de Zerrouki et al., à Tizi-Ouzou (Algérie) montre que des lapines issues de reproducteurs importés de France il y a de nombreuses années ne présentent plus les prolificités élevées caractéristiques de leur génétique d'origine. Les productivités globales restent cependant supérieures à celles des populations locales.

 

CONNAISSANCE ET MAITRISE DU STRESS DE CHALEUR
    Un intéressant travail réalisé au Venezuela (Villalobos et al.) a permis de confirmer les mécanismes de lutte contre le stress thermique du lapin. Cette équipe a en effet démontré que lorsque la température du local s'élève de 26 °Cà 32 °C (Amplitude thermique entre la nuit et le jour au Mexique), le Lapin réduit sa consommation alimentaire de plus de moitié et augmente sa température rectale d'environ 0,5°C (de 39,1 à 39,6°C) (figures 3 et 3 bis). Les lapins rasés de leur poil connaissent une augmentation de température plus faible. On retrouve bien les effets négatifs sur les performances d'une élévation de température au dessus de 26°C, essentiellement du fait d'une diminution de l'appétit.
   
Figure 3 : Evolution moyenne de la température et de l’humidité relative dans la cellule d’élevage en semi-pleir air, au cours d’un cycle de 24 heures (Villalobos et al., 2008)
Figure 3bis : Evolution de la température rectale de lapines rasées ou de lapines témoin non rasées, dans une local semi plein air, dont la température varie de 27°C à 34°C.

Ce travail est suivi d'un essai sur l'augmentation des densités en engraissement dans un environnement chaud. Sans surprise, lorsque la densité passe de 6 à 24 lapins / m² dans un élevage où la température oscille entre 21 et 29° C, la croissance diminue alors que la pathologie et le parasitisme augmentent

 

LES TECHNIQUES D'ÉLEVAGE " CLASSIQUES "
   

Parmi les publications consacrées aux techniques d'élevage, un travail argentin de Cossu et al. à Buenos Aires a étudié 2 rythmes de reproduction (11 et 18 jours) en interaction avec une distribution de 300 grammes de chicorés fraiche constituant une source d'inuline dont les effets bénéfiques sur la flore digestive ont souvent été démontrés. De façon classique, les performances par portée sont plus élevées avec les lapines soumises à un rythme 18 jours mais la distribution de chicorée atténue considérablement cette différence comme la montre la figure 4 pour le poids de la portée à 21 jours (Critère reflétant la production laitière de la lapine). Même si l'on peut regretter le faible nombre de lapines (20 par régime) et un " Top feeding " peu classique par rapport aux usages européens, ce travail a le mérite de mettre en évidence les relations existant entre techniques d'élevages et nutrition, point trop rarement pris en considération dans de nombreuses recherches.

 

Figure 4 : Effets du rythme de reproduction et de la distribution de chicorée sur le poids de la portée à 21 jours
   

Une comparaison de 2 rythmes de reproduction (saillie à 14 jours ou à 21 jours) a également été réalisée par l'équipe de l'Université vénézuélienne de Maracaibo dans le contexte d'un climat tropical. On retrouve la même amélioration des résultats techniques - particulièrement une diminution de la mortalité avant sevrage - lorsque le rythme de reproduction est plus extensif. A noter dans ce travail l'excellent niveau des fertilités (91-92% de saillies fécondes), probablement à mettre en relation avec le fait que les lapines sont saillies par deux mâles avec chaque fois deux saillies par mâle, le matin puis le soir, soit 4 saillies au total.

 

   

Un travail italien de l'Université de Pise (Paci et al.) s'est intéressé à l'influence du nombre de lapins dans des cages collectives sur leurs performances. Sont ainsi comparés des groupes de 4, 8 et 16 lapins et fait intéressant (car rarement réalisé dans de précédentes études), cette étude est réalisée à une densité constante mais très faible de 5,3 lapins / m² entre les âges de 56 et 103 jours. Comme observé dans des études déjà publiées, les meilleures performances pondérales sont obtenues avec les groupes de 4 comparativement aux groupes de 8 ou 16 sujets (GMQ = 30,1 vs 24,2 et 25,3 g/j), tandis que les performances d'abattage ne sont pas affectées.

 

ECONOMIE CUNICOLE COMMERCIALE
    Une communication de l'Université de Bologne (Bertazzoli et Rivaroli) a étudié l'impact économique des normes " Bien être " préconisées par Castellini à l'Université de Pérouse, notamment l'allongement du rythme de reproduction de 11 à 32 jours. Ce travail est réalisé sur 3 élevages d'un millier de lapines environ. Les auteurs calculent l'impact de cet allongement du rythme de reproduction en utilisant les écarts moyens de performances constatés par Castellini dans ses comparaisons expérimentales de différents rythmes de reproduction. Leur conclusion est que les améliorations techniques découlant d'une extensification des élevages en améliorent la rentabilité et de ce fait permettent l'application de normes bien-être sans pénaliser économiquement les éleveurs. Si l'idée de ce travail est intéressante, on peut regretter qu'il s'agisse d'une étude exclusivement théorique et non d'une comparaison réelle des résultats obtenus avant et après un changement de la conduite d'élevage, ce qui en limite considérablement l'intérêt.

Des préoccupations similaires de " Bien être " et de systèmes d'élevage " traditionnel " se retrouvent dans un travail réalisé à l'Université de Viterbo en Italie par une équipe hispano-italienne qui a étudié les variations saisonnières des performances de reproduction dans les cages partiellement enterrées mises au point par l'équipe de Finzi (Figures 5 et 5bis ). De façon habituelle, on retrouve une diminution des performances en été mais les écarts entre les résultats de cette saison et ceux du reste de l'année apparaissent plus faibles que dans des systèmes traditionnels, signifiant selon les auteurs que les animaux bénéficient d'un meilleur confort thermique.

   
Figure 5 : Aspect général de l'élevage dans le travail réalisé à l'Université de Viterbo Partie extérieure des cages (Gonzales-Redondo et al.)
Figure 5 bis: Type de logement alternatif utilisé dans le travail réalisé à l'Université de Viterbo. Vue de la partie "enterré", ouverte pour la photo.
   

Dans l'esprit des calculs essentiellement théoriques développés précédemment par Bertazzoli et Rivaroli, les Hongrois Horwath et Bodnar étudient la faisabilité économique de transformation de grandes fermes laitières en unités de production cunicole. Sur la base de savants calculs théoriques, ils en concluent à une rentabilité du capital investi 2 fois supérieur pour la production cunicole que pour la production laitière. En dehors de l'aspect quelque peu technocratique de cette étude, félicitons nous en pleine crise cunicole que les conclusions de ces auteurs n'aient pas été trop entendues.
A coté de ces publications théoriques, plusieurs études mentionnent l'apparition de cunicultures structurées incluant alimentation industrielle, coopératives d'éleveurs, organisation de la commercialisation dans des pays comme le Mexique mais de façon plus inattendue en Indonesie (Raharjo). Ces témoignages de nouvelles réalités cunicoles confirme bien que le Cuniculture n'est plus désormais l'apanage de l'Europe mais au contraire conquiert de nouveaux marchés parmi les pays émergents.

 

COMMERCIALISATION ET CONSOMMATION
   

Un très intéressant travail émanant de Bodnar et Horvath de l'université de Szeged en Hongrie présentait pour la première fois (au moins dans le cadre d'un congrès international) une étude de la consommation intérieure de viande de lapin en Hongrie. Ce pays est en effet connu comme producteur et non comme consommateur; la consommation intérieure a en effet baissé drastiquement à la fin des années 60 lorsque le gouvernement d'alors mis en place une organisation de récolte de lapins pour en organiser l'exportation. Le prix payé aux producteurs était alors suffisamment élevé pour dissuader ceux-ci de consommer leur production. Les résultats de l'étude montrent cependant une réalité plus complexe que celle généralement admise. En fait, si cette consommation est faible, elle n'est pas nulle et paradoxalement, est plus importante à Budapest que dans le reste du pays. Dans la capitale hongroise, 75 % des habitants déclarent avoir déjà mangé du lapin mais n'en consomment qu'une à deux fois par an.

La commercialisation est essentiellement réalisée sous forme de lapins vivants ou de carcasses entières mais une demande existe pour du lapin découpé que l'on commence à trouver. Elle est essentiellement le fait des bouchers, les consommateurs déclarant se méfier de la fraicheur des produits écoulés par les supermarchés. En dehors de Budapest, la consommation est plus faible, essentiellement du fait d'un manque de disponibilité du produit dans les boutiques. A signaler qu'un nombre important de consommateurs ne font pas la différence entre lapin et lièvre, ce qui semble normal dans la mesure où la langue hongroise ne dispose que d'un même mot pour ces 2 espèces. Un point souligné par l'ensemble des personnes interviewées est le manque de tradition gastronomique hongroise concernant la viande de lapin, les consommateurs ne connaissant pas plus de 2 recettes. En prolongation à ce travail de recherches suggérant un début de renaissance de la consommation de viande de lapin en Hongrie, signalons que cette tendance s'est accentuée depuis ces dernières semaines, particulièrement du fait des très fortes restrictions imposées par la Suisse à l'importation de lapins ont obligé les abattoirs hongrois à s'intéresser au marché intérieur qu'ils avaient négligé jusqu'alors.

 

   

Cette étude sur la consommation intérieure hongroise est d'ailleurs complétée par une publication de Szendrö et Szendrö sur le commerce international cunicole hongrois. Bien que " seulement " dixième producteur cunicole mondial, ce pays est le deuxième ou troisième exportateur mondial, position qu'il occupe depuis le début des années 70. Ses principaux clients sont l'Italie, la Suisse, l'Allemagne ou la Belgique. Les auteurs insistent sur l'apparition d'une concurrence internationale de plus en plus dure avec la croissance de pays exportateurs tels que la Chine ou l'Argentine mais aussi la France et l'Espagne. De façon prophétique (Le congrès était en juin 2008), ils craignaient des difficultés de plus en plus grandes au niveau des marchés traditionnels de leur pays et souhaitaient une reconversion au moins partielle sur le marché intérieur.

 

   

Une méthodologie comparable à l'étude de Bodnar et Horvath a été mise en œuvre par Kadi et al. dans la région de Tizi-Ouzou en vue d'étudier la commercialisation de la viande de Lapin dans cette région d'Algérie. Très peu de boucheries (1,5 %) vendent du Lapin contre 20,5 % des volaillers. Mais point très intéressant, la commercialisation du Lapin est beaucoup plus importantes dans les secteurs de l'hôtellerie et de la restauration puisque 10,8 % des restaurants et surtout 30,4 % des hôtels proposent du lapin à leur carte. De ce point de vue, les habitudes culinaires en Kabylie sont donc assez éloignées des françaises et cette région se rapprocherait plus d'autres régions méditerranéennes comme Malte, le Sud de l'Italie ou le Levant espagnol où le Lapin est également la viande du restaurant. Les principaux facteurs limitant une augmentation de la commercialisation sont à la fois un manque de demande et une disponibilité insuffisante. Ainsi, malgré son organisation insuffisante et sa faible importance quantitative, la consommation de la viande de lapin peut être considérée comme faisant partie des traditions kabyles et est susceptible de se développer dans les années à venir.

 

EN GUISE DE CONCLUSION
    Globalement, le bilan technique de la partie " Techniques d'élevage et économie " apparait assez maigre, tout au moins au niveau des informations susceptibles de présenter un intérêt pour nos cunicultures européennes. Les informations les plus intéressantes pour nous concernent des données chiffrées sur la commercialisation et la consommation de viande de lapins dans des pays comme l'Algérie ou la Hongrie.
Cet ensemble de publications souligne à quel point la Cuniculture a cessé d'être exclusivement européenne et montre la multiplication de nouvelles équipes de recherches dans les pays émergents.

Une remarque également pour terminer cette présentation; les recherches cunicoles menées dans les pays du Sud se structurent autour d'un axe principal: nourrir des populations défavorisés ou très favorisées. Dans le même temps, un très grand nombre de publications des pays du Nord ont comme préoccupation le Bien-être des lapins ou la création de systèmes de production moins intensifs. Les congrès cunicoles sont aussi un miroir des contradictions de notre monde.

   
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